Exposé

Analyse du rapport sur la libre circulation des personnes: Focus sur la Suisse latine

Voici quelques années, un article polémique d’un hebdomadaire alémanique a qualifié les romands de « grecs de la Suisse ». En résumé, il était postulé que les romands travailleraient moins et qu’entre autres pour cette raison, la Romandie souffre d’un taux de chômage moyen plus élevé que la Suisse alémanique. Il est bien évident que cette caricature n’est pas juste. 

Manfred Bühler
Manfred Bühler
Cortébert (BE)

En revanche, il est effectivement exact que les taux de chômage sont plus élevés dans les cantons romands en comparaison à la moyenne suisse. En juin, la moyenne suisse était de 3%. Selon la statistique du SECO[1] les taux se présentaient comme suit en Romandie : NE = 5,2%, GE = 5,1%, JU = 4,3%, VD = 4,2%. Tous les cantons exclusivement francophones se situaient donc largement au-dessus de la moyenne. Les cantons bilingues présentent déjà une autre image : VS = 2,9%, FR = 2,2% et BE = 2,4%.

Dès lors, on peut se demander quelle est la cause de ces chiffres. Approfondissons donc le sujet et considérons un certain nombre de faits.

Selon le rapport du 4 juillet de l’Observatoire relatif à l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE, l’immigration nette par canton est très variable (pages 22-23 du rapport). Ce sont essentiellement les cantons des centres économiques qui attirent l’immigration nette (région lémanique, Bâle, Zurich). Les cantons touristiques tels que le Valais, les Grisons et le Tessin ne sont pas en reste et suivent pas loin derrière.

En ce qui concerne les frontaliers, l’image est très différente. Les taux les plus élevés concernent Genève et le Tessin, qui dépassent 20% de frontaliers par rapport aux actifs. Ils sont suivis entre autres par Neuchâtel, le Jura, Bâle et Schaffhouse, qui se situent entre 10 et 20% de frontaliers parmi les actifs. Ces cantons se trouvent aussi tout en haut de la statistique relative aux résidents de courte durée soumis à l’obligation d’annonce (page 24 du rapport), en particulier GE (2), VS (3), VD (8) et JU (9). Le Tessin occupe le premier rang.

Si l’on considère le marché du travail dans son ensemble, on découvre que quelques 530’000 personnes actives en Suisse se sont installées dans le pays grâce à la libre circulation des personnes. Cela représente pas moins de 11,6% des actifs, soit un nombre très élevé. Plus d’un travailleur sur dix provient de l’UE28/AELE. Il faut bien entendu encore ajouter les ressortissants de pays tiers, qui représentent selon les régions de 5 à 8% des actifs (page 53 du rapport).

Sur un plan régional, 18% des actifs au Tessin et 16,7% dans la région lémanique proviennent de l’UE28/AELE. Parallèlement, on doit constater que le taux d’inactifs (taux de chômage au sens du BIT) de la Romandie et du Tessin est nettement supérieure à la moyenne suisse. Entre 2010 et 2016, le taux est de 6-7%, alors que la moyenne suisse est inférieure de peu à 5%. En ce qui concerne le taux de participation au marché du travail, on constate aussi que celui-ci est plus bas en Romandie et au Tessin : TI = 75-77%, Romandie = 77-80% avec une moyenne suisse à 80-82%.

En résumé, si l’on se concentre sur la Romandie, on peut brosser le tableau suivant : immigration nette au-dessus de la moyenne, taux de frontaliers au-dessus de la moyenne, part des actifs issus de l’étranger au-dessus de la moyenne et taux de participation au marché du travail en dessous de la moyenne, tendance à la baisse.

Maintenant j’attends volontiers quelqu’un qui vienne m’expliquer que ces faits n’ont aucun rapport avec le taux de chômage plus élevé. C’est définitivement impossible à croire. Tous les indicateurs pointent en direction d’une corrélation entre ces facteurs. Les taux de chômage plus élevés en Suisse romande sont à coup sûr la résultante de la libre circulation totale des personnes.

Le rapport explicite même que la libéralisation totale pour les frontaliers a entraîné une progression très forte de leur nombre, qui est passé de 163’000 en 2002 à 318’000 en 2016. Croire que cette progression n’a rien à voir avec les taux de chômage plus élevés des cantons de GE, NE et JU relève au mieux de la naïveté, au pire de la négligence coupable. Le rapport ne dit presque rien à ce sujet, respectivement ne mentionne partout presque que des effets positifs. On ressort de la lecture avec le désagréable sentiment que les auteurs veulent balayer ce qui dérange le tapis et embellissent la réalité.

Cela saute particulièrement aux yeux en ce qui concerne les différences de salaire entre les travailleurs résidents et les frontaliers. Pour une différence brute de -25,6% au Tessin, le rapport mentionne une différence non explicable par des facteurs soi-disant objectifs de -6,5%. Dans le Mittelland, la différence est de -13% à -5,9% après correction. Dans la région lémanique en revanche, les salaires des frontaliers seraient de 7,6% inférieurs, mais supérieurs de 1,2% après correction.

Ce dernier chiffre devrait nous interpeller fortement. Que les salaires des frontaliers puissent être supérieurs à ceux des résidents heurte tous les constats empiriques sur le marché du travail et même le bon sens. Avez-vous déjà entendu parler d’un frontalier qui touche un salaire plus élevé qu’un résident comparable ? Cela semble parfaitement irréaliste et en particulier dans ma région de l’arc jurassien, il est notoire que le coût salarial inférieur n’est pas la dernière des raisons qui incite à engager des forces de travail venues de France.

Je ne peux donc pas réprimer l’impression que le rapport revient dans ce domaine à une sorte de thérapie d’embellissement et ne rend pas compte de manière correcte de la pression sur le marché du travail.

Heureusement, dans une seule petite phrase (!) du rapport, il est admis que le taux élevé de frontaliers exerce une certaine pression sur le salaire des résidents dans l’arc jurassien et au Tessin (page 65). Le rapport souligne cependant dans la phrase immédiatement suivante que cela démontre l’importance de mesures d’accompagnement différenciées selon les régions. En résumé : l’Etat libéralise d’une main l’accès au marché du travail pour les personnes de l’étranger et de l’autre main introduit des mesures de contrôle néfastes à l’économie qui éloignent le marché du travail du libéralisme qui fait notre force.

A nos yeux, ce développement est faux. Nous voulons affronter les vrais problèmes et assurer un taux de chômage bas dans notre pays grâce à un marché du travail libéral à l’interne et à un contrôle de l’immigration à l’externe. Pour ce faire, nous attendons également une information équilibrée et honnête de la part des autorités et du Conseil fédéral.

 

Manfred Bühler
Manfred Bühler
Cortébert (BE)
 
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