Exposé

Les désavantages économiques d’un accord de libre-échange agricole

Jusqu’ici le Conseil fédéral a toujours traité l’agriculture comme une partie de l’économie. Cela ne semble plus être le cas aujourd’hui en raison de l’issue incertaine des négociations de l’OMC et de

Jasmin Hutter
Eichberg (SG)

Jusqu’ici le Conseil fédéral a toujours traité l’agriculture comme une partie de l’économie. Cela ne semble plus être le cas aujourd’hui en raison de l’issue incertaine des négociations de l’OMC et des conséquences d’un accord de libre-échange que le gouvernement souhaite conclure avec l’UE. Le Conseil fédéral nous doit toujours une évaluation honnête et ouverte des avantages et des inconvénients d’un tel accord.

Un accord de libre-échange agricole et alimentaire avec l’UE devrait en principe avoir pour principales conséquences de renforcer la compétitivité de l’agriculture suisse et de baisser les prix pour les consommateurs suisses. Or, la compétitivité de l’agriculture n’en serait pas vraiment améliorée, car un accord de libre-échange ne permet guère de réduire les coûts élevés de l’agriculture qui, comme dans d’autres branches économiques, sont avant tout la conséquence des salaires et des prix des biens de production plus élevés qu’à l’étranger. L’Etat impose de surcroît à l’agriculture des contraintes qui augmentent les coûts de production et qui resteraient en place en cas de conclusion d’un accord de libre-échange. Prenons simplement l’exemple des filtres à particules que le Conseil fédéral a décidé d’imposer aux tracteurs. Comment peut-on, d’un côté, chercher à harmoniser moyennant un accord de libre-échange tout en imposant, de l’autre côté, une foule de réglementations spéciales et de contraintes?

Conclusion: le libre-échange n’améliore pas la compétitivité de l’agriculture suisse. Les paysans suisses subissent des coûts de production beaucoup plus élevés que leurs collègues de l’UE. Le libre-échange fait pression sur les prix alors que, parallèlement, certains coûts augmentent comme celui de l’énergie en raison des impôts, taxes et redevances. Ce même raisonnement vaut aussi pour la RPLP qui est payée à raison de 75% par le trafic interne de marchandises. Ces coûts sont finalement assumés par l’agriculture qui subit une baisse de ses marges et par les consommateurs qui paient plus cher leurs produits alimentaires.

La branche détourne l’attention des vrais problèmes
Qu’en est-il des prix à la consommation? Ils ne sont que peu touchés puisque aujourd’hui déjà la Suisse importe 45% de ses denrées alimentaires. L’industrie de la transformation et le commerce de détail sont confrontés aux mêmes problèmes. Bien que l’agriculture suisse fournisse aujourd’hui ses produits 25% (2,5 milliards de francs en valeur absolue) moins cher qu’il y a douze ans, le consommateur a subi une hausse des prix de 15% durant la même période. Quelque chose ne tourne pas rond, mais cette situation ne sera certainement pas réglée par un accord de libre-échange. En fait, la branche se sert de ce prétexte pour détourner l’attention des vrais problèmes et espère gagner du temps avant de devoir s’y attaquer vraiment. Le libre-échange ne résout pas des problèmes structurels. Même le DFAE, dont on connaît pourtant le fanatisme pro-UE, écrit dans sa feuille d’information de juin 2006: « Le libre-échange dans le secteur agraire et alimentaire ne peut déployer tous ses effets que si, premièrement, tous les échelons de la chaîne de production alimentaire sont inclus et, deuxièmement, si les obstacles tarifaires (droits de douane, contingents) et non tarifaires au commerce sont supprimés.

Conséquences économiques importantes: exportation de places de travail dans l’UE
Mais un débat sur un éventuel accord de libre-échange ne doit pas seulement porter sur la politique agricole. Ce projet revêt en effet une grande importance économique. On sait que le Conseil fédéral veut inclure dans le libre-échange les branches en amont et en aval de l’agriculture sans dire ou sans savoir exactement ce que cela signifie. Quand il était question d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, on parlait de la perte de quelque 100 000 emplois pour la Suisse. Ce chiffre vaut sans doute aussi pour un éventuel accord de libre-échange agricole avec l’UE. En clair, cela signifie que nous exportons par un tel accord des emplois du secteur agricole, des branches en amont et en aval ainsi que de l’industrie alimentaire dans des pays où les coûts de production sont moindres. De plus, nous n’exportons pas seulement des emplois, mais aussi des créations de plus-values. Est-ce là l’objectif d’une politique économique utile au pays?

Perte de revenu de plusieurs milliards de francs
Un accord de libre-échange ne met pas les agriculteurs suisses sur pied d’égalité par rapport à leurs concurrents étrangers, bien au contraire. La pression des importations bon marché augmentera alors que, parallèlement, les exportateurs suisses de denrées alimentaires n’auront pas les mêmes chances pour leurs produits de qualité, certes, mais plus chers. La branche fromagère qui exporte depuis plus de cent ans réussit actuellement à équilibrer le rapport importations/exportations dans un régime de libre-échange. Mais on avait à l’époque, donc lors de la négociation des accords bilatéraux I, promis aux paysans qu’ils pourraient augmenter la quantité de lait produite de 20%. Il n’en est plus question aujourd’hui. Et que dire de la politique protectionniste de l’UE qui, face à la compétitivité croissante des paysans suisses, prélève depuis le 1er février pour la première fois des droits de douane de compensation sur la poudre de lait suisse? L’Office fédéral de l’agriculture annonce qu’un accord de libre-échange agricole avec l’UE entraînerait, en plus d’une baisse annuelle du revenu agricole de 2,5%, une perte de revenu cumulée de plusieurs milliards de francs pour l’agriculture. Selon l’Union suisse des paysans, le scénario OMC aurait pour résultat une baisse de 92% et le scénario UE une baisse de 72% du produit du travail des familles paysannes suisses.

Affaiblissement de la position de la Suisse
Un accord de libre-échange agricole avec l’UE affaiblirait de surcroît notablement la position de la Suisse dans les négociations OMC. Il est évident, même pour les non-connaisseurs de la matière, que la Suisse serait contrainte de faire des concessions non seulement à l’UE, mais aussi à d’autres pays. A l’inverse, l’UE est, elle, très intéressée à un accord de libre-échange agricole avec l’UE. Il n’est pas exclu non plus que Bruxelles saisisse cette occasion pour, comme de coutume, prier la Suisse de passer à la caisse dans d’autres domaines. Seul un pays qui souhaite l’adhésion peut demander un accord de libre-échange agricole. Ce projet vise purement et simplement à casser la résistance des paysans contre une adhésion de la Suisse à l’UE. En multipliant les liens institutionnels avec l’UE, le Conseil fédéral se rapproche pas à pas de son objectif de faire entrer la Suisse dans l’UE.

L’UDC rejette catégoriquement le libre-échange agricole avec l’UE. Ce régime ne réduit guère les prix à la consommation, entraîne un transfert d’emplois à l’étranger et accélère la disparition des familles paysannes. Une analyse économique globale de ce projet révèle que des pronostics précis à long terme sont quasi impossibles et que les inconvénients prévisibles pèsent beaucoup plus lourd que les avantages.

Jasmin Hutter
Eichberg (SG)
 
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