Exposé

Non au prix imposé du livre!

L’orateur qui m’a précédé se bat pour le bien culturel qu’est le livre. Son action est d’autant plus légitime qu’il est lui-même auteur. Mais voilà: l’Etat soutient aujourd’hui déjà le livre, et…

Sebastian Frehner
Sebastian Frehner
conseiller national Basel (BS)

L’orateur qui m’a précédé se bat pour le bien culturel qu’est le livre. Son action est d’autant plus légitime qu’il est lui-même auteur. Mais voilà: l’Etat soutient aujourd’hui déjà le livre, et cela de manière plutôt généreuse. Le soutien au livre et aux bibliothèques représente tout de même quelque 200 millions de francs par an, montant auquel il faut ajouter diverses fondations et prix pour les auteurs. Qui plus est, l’Etat privilégie fiscalement le livre qui est soumis à un taux de TVA réduit, soit 2,5%. Cet avantage bénéficie non seulement aux œuvres littéraires de haut niveau, mais aussi aux livres de cuisine, guides de voyages, conseils de vie, livres érotiques et autres œuvrettes collectionnant les déclarations fracassantes de footballeurs. Je vous pose la question: tout cela ne compte donc pas?

J’ai suivi attentivement le long et laborieux débat concernant le cartel du livre en Suisse alémanique et j’ai moi-même soutenu une thèse en droit des cartels. Je crois bien connaître ce thème. Je suis d’autant plus étonné aujourd’hui devant les acrobaties argumentatives des partisans de cette règlementation. Voici ce que j’ai lu sur leur site internet: « Les différences de prix par rapport à l’étranger baisseront. » Vous avez bien entendu. Si nous installons un cartel du livre protégé par l’Etat les prix baisseront. Sommes-nous donc naïfs? Croyons-nous vraiment qu’un cartel étatique réduise le prix des produits? Ce serait une nouveauté. Si réellement les libraires veulent pratiquer des prix plus avantageux, ils peuvent assumer leurs responsabilités et baisser eux-mêmes les prix. Ils n’ont pas besoin de l’Etat pour faire cela. Malheureusement ils n’en ont rien fait jusqu’ici.

Et si véritablement des prix imposés par l’Etat entraînaient une baisse des prix, mon collègue Freysinger croit-il sincèrement qu’il touchera des honoraires plus élevés? La promotion de la culture à prix réduit? Non, ce calcul ne joue pas. L’argumentation des partisans de cette règlementation est totalement contradictoire. Il n’y a donc qu’une seule réponse à leur donner: un non clair et net à cette loi mal réfléchie.

La réintroduction des prix règlementés dans le domaine du livre aura très certainement une autre conséquence: le développement de la bureaucratie étatique. Le préposé à la surveillance des prix interviendra si un livre n’est pas vendu au prix fixé. Monsieur Meierhans aura besoin de plus de personnel pour observer le marché et rappeler à l’ordre les indisciplinés. Vous, Monsieur Freysinger, vous citez constamment les petites maisons d’édition qui profitent des prix réglementés. Je vous dis maintenant qui en profite réellement: ce sont les grandes éditions allemandes qui dominent le marché du livre de Suisse alémanique. Vous les connaissez: Thalia, Weltbild, etc. Ces maisons ont conquis leur position sur le marché bien avant 2007 lorsqu’il existait encore en Suisse une règlementation privée du prix du livre. Ces éditions ont tout intérêt à ce que la Suisse s’impose à nouveau des prix réglementés et qu’elle ne s’écarte pas de cette ligne. Voilà pourquoi ces grandes maisons sont pour la nouvelle loi. La Suisse a-t-elle besoin de prix réglementés du livre simplement parce que la France et l’Allemagne pratiquent ce système? Nous ne sommes tout de même pas dans l’UE, non? Et croyez-vous vraiment que les éditions étrangères investiront l’argent gagné dans la promotion de la culture du livre en Suisse? Je vous en prie. Jusqu’ici personne n’a réussi à expliquer de manière convaincante comment la règlementation du prix du livre encourage effectivement les créateurs de biens culturels.

Et puisque nous parlons de la puissance commerciale des maisons étrangères, notez ceci: seuls huit à neuf pour-cent des livres de Suisse alémanique proviennent effectivement de Suisse. Faut-il donc forcer 100 des lectrices et lecteurs suisses d’acheter à des prix surfaits 90% des livres qui ne sont pas d’auteurs suisses? Je crois que non. Un livre n’est effectivement pas une boîte de raviolis. Les raviolis sont principalement produits en Suisse avec de la viande suisse.

Détail que taisent les partisans de cette règlementation, la branche est divisée dans cette thématique. Des petites librairies novatrices se sont fort bien battues contre les grandes chaînes grâce à un bon service et une bonne politique des prix. Et maintenant ces petits commerces devraient être contraints par l’Etat de baisser également leurs prix? Si j’aime être bien servi, je suis volontiers prêt à payer un peu plus. Et cela ne serait plus possible? La libre formation des prix permet à ces librairies d’accorder des rabais où cela est nécessaire et de demander un peu plus quand les consommateurs sont prêts à payer. Cela ne serait plus possible avec une règlementation des prix.

Un regard vers l’avenir nous donne une idée du caractère déraisonnable et totalement anachronique de cette discussion. Aujourd’hui déjà, les ventes de livres électroniques croissent à une vitesse vertigineuse. Ces supports ne sont cependant pas concernés par la règlementation des prix. Les livres électroniques et autres iBooks d’Apple seraient ainsi indirectement subventionnés. Voulons-nous cela? Est-ce dans l’intérêt des petites librairies que l’on veut protéger? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.

Comme jeune parlementaire je me permets de rappeler à Monsieur Freysinger que nous vivons à l’ère d’Internet. On peut en penser ce que l’on veut, mais c’est une réalité. Aujourd’hui déjà 15 à 20% des livres sont commandés en ligne. Je suis persuadé que cette proportion va en augmentant. Et voici la Suisse qui veut imposer des prix règlementés au commerce internet? Les marchands en ligne suisses feront le poing dans la poche est s’y tiendront, parce que nous autres Suisses avons tendance à respecter les lois. Mais qu’en est-il des fournisseurs étrangers comme par exemple Amazone? Comment poursuivra-t-on les casseurs de prix? Avec un préposé à la surveillance des prix qui lève un doigt menaçant? Les douanes ne feront en tout cas pas de contrôles au hasard pour vérifier si les prix suisses sont respectés ou non. Le Conseil fédéral l’a rappelé une fois de plus clairement durant la dernière session d’hiver.

A l’intention des Romands et des Tessinois ici présents, je ferai part de ceci: tout à l’heure, je me suis exprimé au sujet du cartel du livre qui a existé jusqu’en 2007 en Suisse alémanique. Or, la situation n’est pas la même en Suisse romande où une entente sur le prix du livre n’a régné que jusqu’au début des années 90. Depuis lors, les prix ont été fixés librement. En Suisse italienne, les prix n’ont jamais été réglementés.

Aujourd’hui, en Suisse romande, les grandes entreprises françaises FNAC et Payot plaident en faveur du prix imposé du livre parce qu’elles escomptent pouvoir vendre ainsi leurs produits de librairie au prix fort. Incontestablement, les consommateurs n’ont aucun profit à tirer d’une telle politique, et cette dernière ne jouera aucun rôle pour la promotion du livre en tant que bien culturel.

Dès lors, refuser des prix surfaits pour le livre vaut également pour les Romands et les Tessinois. Il faut dire non au prix imposé du livre!

Pour toutes ces raisons je vous invite à rejeter la loi sur le prix réglementé du livre. L’UDC se bat contre l’extension de la bureaucratie et pour plus de concurrence. Donc, le 11 mars prochain, disons NON à cette loi hostile à la concurrence.

 

Sebastian Frehner
Sebastian Frehner
conseiller national Basel (BS)
 
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