Exposé

Pour une suspension immédiate de l’échange automatique de renseignements!

Dans son nouveau document de fond sur la place financière suisse, l’UDC exprime sa grande inquiétude devant l’extension constante de l’échange automatique de renseignements (EAR) sur les comptes financiers. La Suisse applique actuellement l’EAR avec 38 Etats et territoires. Bien que les autorités suisses n’étaient aucune idée des effets et du fonctionnement de ces accords, elles veulent d’étendre ce réseau dès 2018/19 à 41 Etats et territoires supplémentaires dont plusieurs sont pour le moins problématiques du point de vue de l’Etat de droit. L’UDC s’oppose avec détermination à ce projet et demande que l’extension de l’EAR soit immédiatement suspendue.

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)

L’UDC a toujours combattu par principe l’échange automatique de renseignements, mais elle n’a pas réussi à s’imposer au Parlement fédéral. Pour elle, il est naturel que l’Etat défende la sphère privée – donc également la sphère privée financière – des citoyennes et citoyens aussi longtemps qu’il n’y a pas de raison valable de soupçonner un comportement délictueux. L’EAR est en totale opposition avec ce principe, car il ne vise pas en réalité à encourager l’honnêteté fiscale, car, si tel était le cas, les autres Etats auraient accepté très volontiers l’impôt libératoire que la Suisse leur avait offert. Ce mode d’imposition aurait non seulement garanti une honnêteté fiscale à 100%, mais la Suisse aurait de surcroît perçu gratuitement cet impôt pour le compte de pays étrangers. Cela aurait été un grand avantage pour ces derniers. Le fait que tous les pays concernés – sauf la Grande-Bretagne et l’Autriche – ont refusé ce procédé prouve à l’évidence que l’objectif de ces Etats n’est pas l’honnêteté fiscale, mais bien la transparence totale des citoyens.

A l’heure actuelle, il s’agit de relever les faits suivants concernant l’échange automatique de renseignements:

Premièrement, le but réel de l’OCDE et des Etats du G20 n’est pas de récupérer des impôts qui leur auraient éventuellement échappé, mais bien de prendre le contrôle total des finances de leurs citoyennes et citoyens. Les discussions qui ont lieu dans certains de ces pays concernant une suppression totale de l’argent liquide en sont une preuve supplémentaire.

Deuxièmement, les professeurs René Matteotti et Rainer J. Schweizer ainsi que le préposé fédéral à la protection des données, Adrian Lobsiger, estiment que l’EAR pose des problèmes constitutionnels. René Matteotti relève dans son avis de droit que l’EAR n’est pas conforme à la Constitution fédérale si le principe de la spécialité n’est pas rigoureusement respecté, donc si les données ne sont pas exclusivement utilisées à des fins fiscales, et si l’Etat partenaire ne garantit pas au moment de la ratification une procédure de régularisation équitable.[1] Le professeur Schweizer argumente de manière analogue. Il critique en outre la décision du Conseil fédéral de faire approuver les différents accords au Parlement par un arrêté fédéral simple qui exclut le référendum. De plus, il estime que des violations par négligence des droits de l’homme sont à craindre.[2] Quant au préposé fédéral à la protection des données, il rappelle que le niveau de sécurité est insuffisant dans au moins 19 pays prévus pour la deuxième extension de l’EAR.[3]

Troisièmement, l’envoi dans le monde entier vers des destinataires inconnus (« ins Blaue », pour reprendre les termes du professeur Rainer J. Schweizer[4]) de milliards de données personnelles hautement sensibles sans le moindre soupçon d’une fraude est diamétralement opposé à la conception libérale qui prévaut en Suisse. Rappelons aussi que l’EAR met en place une machine bureaucratique énorme et onéreuse qui exige l’engagement de fonctionnaires fiscaux supplémentaires et des investissements informatiques extrêmement importants.

La manière irréfléchie dont a procédé le Département fédéral des finances est confirmée par la déclaration suivante faite par la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf en 2015 devant le Parlement: « Il s’agit de contribuables suisses qui ont des comptes bancaires à l’étranger, donc de personnes qui sont imposables en Suisse et qui ont un compte à l’étranger. Il ne s’agit pas de leurs comptes en Suisse. Les comptes en Suisse ne sont concernés que dans la mesure où ils appartiennent à des étrangers qui sont contribuables à l’étranger.« [5] La ministre des finances a sciemment passé sous silence qu’il existe 775 000 étrangers dont les comptes en Suisse devront être déclarés à l’étranger dans le cadre de l’échange automatique de renseignements.

Le Conseil fédéral dépasse définitivement les bornes avec son projet d’étendre en 2018/2019 le réseau d’échange automatique de renseignements à 41 Etats et territoires supplémentaires. Parmi ces derniers se trouvent en effet des pays qui, selon les professeurs Schweizer et Matteotti et le préposé à la protection des données, Adrian Lobsiger, ne respectent pas les exigences constitutionnelles. De plus, nous ne savons absolument pas si l’EAR conclu actuellement avec 38 Etats fonctionne réellement et, enfin, les Etats-Unis d’Amérique ne rejoindront pas l’EAR, à en croire diverses déclarations de l’administration Trump. Si les Etats-Unis en tant que membre de l’OCDE et du G-20 ne participent pas à l’EAR, la Suisse n’a pas non plus le droit d’y prendre part pour de simples raisons de réciprocité. D’une manière générale, il est irresponsable d’exposer les Suisses de l’étranger à des dangers réels par la conclusion de nouveaux accords EAR.

Pour toutes ces raisons, l’UDC exige les mesures suivantes qu’elle proposera également à la Commission de l’économie et des redevances (CER) lors de la séance des 14/15 août prochains:

  1. suspendre immédiatement la conclusion de nouveaux accords EAR jusqu’à ce que le fonctionnement de l’EAR avec les partenaires actuels soit éclairci et que l’on sache si les Etats-Unis, principale place financière du monde, y participent également.
  2. si le Parlement refuse la demande de marquer un arrêt dans la conclusion de nouveaux accords EAR, l’UDC proposera dans l’examen de détail de ne pas ratifier l’EAR avec les pays où l’indice de corruption (Transparency International Corruption Perceptions Index) affiche moins de 45 points ou qui sont qualifiés de « non libres » dans l’indice démocratique Freedom House. Tel est le cas pour les onze pays suivants: Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Colombie, Mexique, Russie, Arabie saoudite, Afrique du Sud et Emirats Arabes Unis. Je renvoie à ce propos aux tableaux des pages 9 et 10 du nouveau document de fond de l’UDC sur la place financière suisse.
  3. l’UDC recommandera aussi de ne pas ratifier l’accord EAR avec la Nouvelle-Zélande jusqu’à la conclusion d’un accord de sécurité sociale avec ce pays. Des milliers de Suissesses et de Suisses vivent en effet dans ce pays. Or, si un Suisse, qui a travaillé en Nouvelle-Zélande, touche une rente aussi bien de ce pays que de la Suisse, la rente AVS suisse sera complètement déduite de la rente néo-zélandaise, donc prélevée à 100% par le fisc. Bien que ce Suisse de l’étranger ait cotisé pendant des décennies en Nouvelle-Zélande et en Suisse, il ne touchera que la petite rente d’un seul pays. On comprend dès lors que ces Suisses de l’étranger se fassent verser leur rente AVS sur un compte en Suisse sans la déclarer aux autorités néo-zélandaises. Le réveil sera dur pour nombre de Suissesses et Suisses de l’étranger en cas la conclusion d’un accord d’échange automatique de renseignements avec la Nouvelle-Zélande. Ces Suisses devront s’attendre à devoir payer des arriérés d’impôts massifs (jusqu’à 100% de la rente), à des amendes, voire à des poursuites pénales.
  4. l’UDC rappelle avec insistance qu’en cas d’acceptation de l’EAR avec les 41 Etats et territoires prévus, le Conseil fédéral dans son ensemble et le Parlement assumeront la pleine responsabilité des représailles – expropriations, chantages, enlèvements, meurtres – que pourraient subir les Suisses de l’étranger ou les détenteurs étrangers de comptes en Suisse. L’UDC suivra attentivement le développement à ce niveau.

L’UDC part de l’idée que les autres partis politiques s’opposent également à la conclusion d’accords EAR au moins avec les 11 pays posant des problèmes en termes de droits de l’homme. Rappelons à ce propos la déclaration de l’ancien président du PDC, Christophe Darbellay: « L’échange automatique de renseignements n’est pas une option. »[6] Susanne Leutenegger Oberholzer, représentante du parti socialiste, a dit textuellement ceci au Parlement: « Cette activation bilatérale est soumise à la condition que la réciprocité, le principe de la spécialité et la protection des données soient garantis »[7]. Louis Schelbert a fait la déclaration suivante: « Les Verts ne remettent pas en question les résultats si la protection des données est réglée conformément aux recommandations. »[8] La ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf, membre du PBD, a déclaré au Parlement: « De l’autre côté, il doit s’agir d’un Etat qui possède un système juridique garantissant la sécurité ou la confidentialité des données. Dans cet Etat, le principe de la spécialité et – je le répète encore une fois, Monsieur le Conseiller national Matter – la réciprocité doivent être respectés. »[9]

Nous attendons de toute manière le plein soutien du PLR dans cette question. Philipp Müller, ancien président du PLR, avait à l’époque exigé que le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales et, partant, la responsabilité des négociations avec l’UE soient retirés à la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf en raison de sa précipitation dans le dossier de l’échange automatique de renseignements.[10] Ruedi Noser a déclaré textuellement ce qui suit: « Les milieux qui exigent l’échange automatique de renseignements veulent en réalité prendre le contrôle complet de tous les paiements effectués par les citoyens. A chaque fois qu’un citoyen ouvre son portemonnaie, l’Etat veut savoir pourquoi il dépense son argent. Personne ne peut vouloir un tel monstre bureaucratique. »[11] Peu après, Ruedi Noser a cependant basculé dans le camp des partisans de ce « monstre bureaucratique », mais il a tout de même relevé ce qui suit devant le Conseil national: « Le principe de la spécialité et la protection des données doivent être strictement respectés. »[12] Si nous prenons au mot ces représentants de partis politiques, plusieurs pays contestables du point de vue des principes de l’Etat de droit ne devraient avoir aucune chance de recevoir des informations fiscales de la Suisse dans le cadre de l’échange automatique de renseignements.


[1] René Matteotti: Conformité constitutionnelle de l’échange automatique de renseignements; bref avis de droit commandé par le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales, 13.8.2015.

[2] Rainer J. Schweizer: Ne pas risquer des violations par négligence des droits de l’homme. Dans son projet d’accord sur l’échange automatique de renseignements avec des Etats comme la Russie, le Conseil fédéral n’observe pas suffisamment la protection des droits de l’homme, Swiss Paralegal Association, août 2017.

[3] Maja Briner: La Confédération ignore les protecteurs des données. La Confédération veut introduire l’échange automatique de renseignements avec des Etats comme la Chine et la Russie. Mais le premier protecteur des données du pays met en garde: le niveau de sécurité dans ces pays est insuffisant, dans: „Luzerner Zeitung“, 10.2.2017, p. 4.

[4] Rainer J. Schweizer: Cela ne peut pas continuer ainsi. L’échange automatique de renseignements doit être réexaminé, juillet 2017.

[5] Eveline Widmer-Schlumpf, conseillère fédérale, devant le Conseil national, Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale du 16.09.2015

[6] „Sonntagszeitung“, 23.12.2012, p. 5.

[7] Susanne Leutenegger Oberholzer, porte-parole de la CER devant le Conseil national, Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale du 16.9.2015.

[8] Dito.

[9] Ebenda.

[10] « Eveline Widmer-Schlumpf poignarde le Conseil fédéral dans le dos », Philipp Müller critique sévèrement la ministre des finances qui, à son avis, a changé du jour au lendemain sa position concernant la stratégie financière. Il s’agit d’un événement extrêmement grave, dans « Tages-Anzeiger », 22.12.2012, p. 3.

[11] «Basler Zeitung», 31.12.2012. p. 4.

[12] Ruedi Noser (PLR) devant le Conseil national, Bulletin officiel de l’Assemblée fédérale du 16.9.2015.

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)
 
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