Sécurité en Suisse ? La sécurité alimentaire en fait aussi partie

seul fait foi le texte effectivement prononcé

J’ai le grand plaisir de vous saluer ici, à Thoune, après une pause estivale qui, je l’espère, vous a été bienfaisante. Je suis très heureux que l’hospitalité accordée par mon département nous permette de nous retrouver pour une rentrée politique qui s’annonce probablement aussi chaude que l’été qui s’achève. Le mois de septembre, en particulier, nous réserve une élection complémentaire très attendue au Conseil fédéral et, quatre jours plus tard, un week-end de votations sur des objets importants.

Guy Parmelin
Guy Parmelin
conseiller fédéral Bursins (VD)

Le 24 septembre prochain, le souverain aura en effet à se prononcer notamment sur l’arrêté fédéral sur la sécurité alimentaire. Ce texte constitue en fait un contre-projet direct à l’initiative populaire dite « Pour la sécurité alimentaire », lancée par l’Union suisse des paysans puis retirée en début d’année compte tenu du large soutien manifesté par le Parlement au contre-projet en question.

Ce sujet nous amène à parler ni plus ni moins que de la capacité de notre pays à fournir durablement à sa population une nourriture à la fois suffisante, saine et abordable. C’est le cas aujourd’hui et c’est tout l’enjeu de cette votation qu’il en aille également ainsi demain.

L’article constitutionnel qui nous sera soumis propose un concept global de sécurité alimentaire, allant – comme le veut la formule – « du champ à l’assiette », du producteur au consommateur. L’idée de ce texte peut s’énoncer en cinq grands principes dont je me bornerai à évoquer les axes principaux.

Premièrement, le nouvel article veut préserver les facteurs de production, c’est-à-dire les terres cultivables et l’eau, mais aussi le savoir-faire tel que permet de le développer le progrès des connaissances agronomiques.

Deuxièmement, le nouvel article veut également encourager le principe d’une production durable, c’est-à-dire respectueuse, en un mot, de la nature et des conditions locales.

Troisièmement, ce texte imposera à notre agriculture et à notre secteur agroalimentaire de se profiler davantage sur les marchés, de façon à ce que la production soit moins orientée par l’Etat et davantage guidée par le marché. L’objectif n’est pas d’abandonner l’agriculture aux griffes d’une féroce concurrence étrangère, dont on sait parfaitement qu’elle peut produire à des conditions sociales et financières sans rapport avec les nôtres. L’idée est bien plutôt de préparer notre agriculture aux défis de la modernité, et cela dans l’intérêt direct du consommateur et en phase avec ses besoins. Nous voulons ainsi que nos paysans et avec eux l’ensemble des acteurs de la branche agroalimentaire puissent renforcer leur statut d’entrepreneurs responsables et qu’ils sachent à ce titre encore mieux tirer parti des opportunités du marché, qu’il soit suisse ou étranger. La Commission de l’économie et des redevances a elle-même insisté, lors de son examen du texte, sur l’importance d’une approche qui ne soit ni rétrograde ni protectionniste en la matière, mais qui préserve les intérêts de l’économie. Le gouvernement est parfaitement aligné sur cette ambition.

Quatrièmement, le contre-projet vise à favoriser l’établissement et l’entretien de relations commerciales stables et solides avec nos partenaires étrangers dont notre sécurité alimentaire dépend grandement. Notre pays dispose en effet d’une surface agricole limitée, d’une topographie difficile, d’un climat capricieux, mais aussi d’une forte densité de population. Tout cela concourt et concourra demain encore à créer, que nous le voulions ou non, une dépendance étroite vis-à-vis de l’étranger. La qualité de nos relations commerciales internationales, avec l’UE tout particulièrement, auprès de laquelle nous réalisons plus de la moitié de la valeur de nos exportations, est par conséquent capitale à cet égard.

Enfin, le contre-projet introduit une notion de consommation responsable, destinée à ménager les ressources à disposition, une approche qui n’est pas dénuée d’intérêt dans un pays où près d’un tiers des denrées alimentaires finissent à la poubelle.

Mesdames et Messieurs, les avantages de ce texte pour les agriculteurs découlent des engagements mêmes qu’il met en œuvre. Comme je l’ai déjà relevé, son intention est de sécuriser les bases de production, ce qui est forcément bénéfique pour les principaux intéressés. De même, en soignant et en intensifiant nos relations internationales, nous pourrons leur garantir l’approvisionnement en énergie, l’accès aux produits et aux biens dont notre agriculture est dépendante.

Je conçois que l’orientation vers le marché puisse, aux oreilles de certains, faire craindre l’exposition des secteurs agricole et agroalimentaire indigènes aux dangers du libre-échange. Selon le Conseil fédéral, il faut plutôt y voir une chance : celle d’être innovants, de pouvoir exploiter des potentiels à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières et surtout de mettre résolument l’accent sur une qualité élevée, symbole même de notre économie.

Je sais que notre formation en appelle à une agriculture productrice, capable de fournir à la population suisse un maximum de denrées alimentaires. Je sais qu’elle est attachée en outre à un allègement des charges administratives imposées aux agriculteurs et à la sécurité des investissements. Ces attentes sont tout à fait légitimes.

Le Conseil fédéral ne méconnaît pas les enjeux liés à l’alimentation. L’environnement mondial dans ce secteur a changé du tout au tout en seulement vingt ans : la pénurie des denrées alimentaires s’est aggravée, leurs prix se sont envolés et la volatilité de ceux-ci a beaucoup augmenté. La situation nationale à cet égard est un peu moins préoccupante, en raison notamment du vieillissement de la population et de l’accroissement de la production intérieure grâce à des sélections et à l’emploi de technologies plus pointues.

Il n’empêche et je le redis ici : le gouvernement considère que la garantie de la sécurité alimentaire est un enjeu majeur. Le contre-projet soumis au peuple est à ses yeux un bon moyen de consolider notre approvisionnement, en élargissant l’offre interne et en s’assurant de la disponibilité des denrées alimentaires au plan international. C’est sur cet aspect que je souhaitais particulièrement insister comme chef d’un département dont la sécurité est le cœur de métier, mais aussi en ma qualité d’ancien agriculteur.

Pour être issu du monde de la terre, je suis en effet pleinement conscient des problèmes auxquels ce secteur doit faire face : les contraintes en matière de production, la baisse des revenus, la bureaucratie endémique, l’extensification à outrance de l’exploitation agricole et, à l’étranger, des coûts de production dérisoires s’ajoutant à des normes sociales minimales. Au-delà des aspects économiques du dossier, je retiens du point de vue sécuritaire que l’objectif est d’assurer à notre population de pouvoir durablement manger à sa faim. C’est là au fond une condition de notre liberté et de notre indépendance, et c’est la raison pour laquelle il faut s’engager pour que notre agriculture reste vivante malgré ses difficultés.

Aussi, avec le Conseil fédéral et le Parlement, je vous recommande d’accepter la modification de la Constitution introduite par l’arrêté fédéral du 14 mars 2017 sur la sécurité alimentaire.

Cependant, la sécurisation de notre approvisionnement alimentaire n’est qu’un volet de la sécurité, et j’en viens ainsi à la seconde partie de mon intervention. J’observe, tout comme vous, que l’année 2017 s’est ouverte sur un ordre mondial particulièrement chahuté. Des steppes ukrainiennes aux rives de l’Euphrate, des cafouillages de la Maison Blanche aux rodomontades de Pyongyang, la situation internationale apparaît particulièrement nerveuse et instable. Le Conseil fédéral considère même qu’elle ne l’a pas été avec cette intensité depuis les heures les plus critiques de la guerre froide.

L’Europe elle-même évolue de façon contrastée dans cette période troublée. La Grande-Bretagne s’apprête à se retirer de l’Union européenne, la nouvelle présidence française se cherche une place aux avant-postes. Angela Merkel va au-devant de législatives difficiles, tout cela dans un continent exposé à des actes terroristes d’une violence inouïe et confronté à des difficultés économiques et migratoires sévères. Enfin, ce tableau montre un grand nombre de pays d’Afrique, du Proche et du Moyen-Orient à la dérive, en raison d’une économie obérée, par suite de tensions ethniques, de conflits de voisinage ou du fait de structures étatiques défaillantes ou corrompues. Dans une liste mondiale qui en compte actuellement un peu moins de 200, un grand nombre de pays d’Afrique centrale, le Pakistan, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan sont ainsi considérés comme des Etats en déliquescence.

Ce panorama est celui d’un monde multipolaire, où les rapports de force se sont amplifiés et les risques de basculement singulièrement accrus.

Vous m’entendrez souvent affirmer que la Suisse n’est pas une île. De fait, elle est située au cœur de l’Europe, elle exporte vers cette dernière plus de la moitié des marchandises qu’elle produit et elle en importe près des trois quarts des biens qui lui sont nécessaires. C’est dire que les menaces qui pèsent sur l’ouest de notre continent sont susceptibles de nous affecter directement.

Comme vous le savez sans doute, le Conseil fédéral établit périodiquement un document intitulé « Rapport sur la politique de sécurité de la Suisse », lequel constitue une sorte de baromètre de l’état du monde et qui, dans ce contexte, permet au gouvernement de définir ses principales orientations de défense. Notre dernier rapport date d’août 2016. J’aimerais en développer deux aspects, correspondant aux deux risques que nous redoutons le plus en ce moment : l’extrémisme violent et les cybermenaces.

L’extrémisme violent tout d’abord. Cette question est doublement brûlante, du fait non seulement de son actualité, mais également de sa proximité : en France, en Grande-Bretagne, en Scandinavie, en Allemagne, en Belgique, et tout dernièrement en Espagne, une succession d’actes commis au nom du terrorisme à composante djihadiste, ou du moins inspiré par ce mouvement, ont déjà fait 339 morts et plusieurs centaines de blessés depuis 2015. Nous devons nous aussi, au-delà de tout a priori, nous poser les mêmes questions sécuritaires que nos partenaires : sommes-nous à l’abri de ces activistes, à l’abri de leurs gestes meurtriers ? Certainement pas. Selon le décompte du Service de renseignement de la Confédération, depuis 2001, près de 90 personnes au total seraient parties de Suisse pour le djihad, parmi lesquelles 30 seraient détentrices de la nationalité suisse. Par ailleurs, près de 500 individus ont été repérés en Suisse comme étant diffuseuses de matériel prônant l’idéologie djihadiste. Leur ombre plane dès lors sur notre sécurité.

Sans vouloir exagérer l’état de la menace dans un contexte par essence difficile à cerner, nous devons considérer que tous les intérêts occidentaux, qu’ils soient ou non présents dans le monde islamique, sont susceptibles d’être visés, toutes nos valeurs susceptibles d’être mises à mal. Notre pays ne figure pas sur la liste des cibles privilégiées, mais il n’est pas pour autant absent de la liste des cibles potentielles, et cela même s’il n’est pas partie prenante aux conflits en cours. Dans ces circonstances, notre rôle est de prendre en compte le risque d’attaques ponctuelles, qui seraient le fait d’individus ou de petits groupes de personnes isolées. Nous constatons en effet qu’Internet facilite la radicalisation, le développement spontané des réseaux, leur mobilisation rapide et la commission ciblée d’actes violents.

Les attaques planifiées par ce genre d’individus n’ont pas besoin d’être de grande ampleur pour heurter l’opinion publique et créer ainsi un climat de terreur : les récents attentats en Espagne ont fait 15 mort et plus de 100 blessés sans la moindre bombe et sans kalachnikov. Les spécialistes parlent à cet égard d’attentats « low cost ». C’est ce profil d’attaque à laquelle la Suisse doit se préparer, sans qu’il ne soit pourtant possible aux pouvoir publics de garantir en permanence une sécurité absolue. Et notre pays ne doit pas se bercer de l’illusion que le recul territorial de l’Etat islamique va entraîner une diminution de ce risque : un rapport remis à l’Union européenne estime que 1’200 à 3’000 Européens pourraient revenir du djihad, représentant autant de bombes à retardement pour nos sociétés, sans compter ces jeunes subitement portés à l’action, fanatisés par des imams dévoyés, comme cela semble avoir été le cas en Espagne.

Pour contrer ces menaces, des outils existent néanmoins. Compte tenu de l’aspect global du risque terroriste, je commencerai par souligner l’importance de la collaboration internationale dans cette lutte. Sur le plan opérationnel, la Suisse partage ainsi avec un grand nombre de pays européens du renseignement et des informations qui peuvent s’avérer utiles dans la prévention des actes violents.

Il existe d’autres mesures, de nature notamment judiciaire et policière, qui peuvent concourir à la sécurité. Je me contenterai de recenser deux dispositifs qui devraient aider à anticiper les effets du terrorisme actuel et qui sont en lien avec certains des rouages de mon département. Le Réseau national de sécurité, tout d’abord, qui dépend en partie du DDPS et qui est chargé de prendre en main les dossiers de politique de sécurité devant être coordonnés entre la Confédération et les cantons. Cette instance vient de recevoir la mission d’élaborer d’ici le deuxième semestre de cette année un plan d’action national contre la radicalisation et l’extrémisme violent. Ce programme devra proposer au Conseil fédéral des mesures concrètes et applicables à bref délai. J’ai évidemment des attentes à ce sujet, mais aucun espoir exagéré, puisque j’observe par exemple que l’unique centre de « déradicalisation » de France sera fermé tout prochainement, le ministère compétent ayant estimé que l’expérience ne s’était pas montrée concluante.

Ensuite, comme vous le savez, la population suisse a accepté l’an dernier le principe d’un renforcement des outils d’investigation tels qu’ils sont prévus par la loi fédérale sur le renseignement. De nouvelles possibilités de surveillance du courrier postal, du courrier électronique et des conversations téléphoniques sont appelées à être introduites, sous un contrôle institutionnel étroit afin de prévenir tout risque de dérive administrative de la part des services de la Confédération. Cette nouvelle loi, qui entrera en vigueur le 1er septembre, ne se présente pas comme la panacée, mais elle vient nous apporter un indéniable surplus de sécurité.

Deuxième aspect sur lequel j’aimerais m’attarder: l’acquisition frauduleuse d’information. Ce thème est assez ancien, puisque la Confédération a élaboré sa première stratégie de protection en la matière il y a déjà cinq ans. Mais le phénomène a pris une ampleur considérable en à peine une année et demie.

Les objectifs des pirates informatiques ne manquent pas d’ambition. Ils cherchent à espionner les éléments de défense, à saboter les systèmes, à prendre le contrôle des infrastructures critiques, à s’emparer de secrets industriels, de ressources financières et de données sensibles.

En Suisse, l’événement récent le plus retentissant dans ce domaine fut le piratage de l’entreprise RUAG par un maliciel étranger découvert en janvier 2016. Le caractère sensible des activités de cette entreprise a aussitôt placé ou remis le dossier de la cybersécurité en tête des préoccupations non seulement de la Confédération, mais encore de toutes les branches vulnérables de l’économie privée ou du secteur parapublic: prestataires de services, compagnies de transport, fournisseurs d’eau et d’énergie, acteurs de la santé, production et distribution alimentaire, les cibles potentielles sont nombreuses.

Si l’une d’entre elles venait à cesser de fonctionner, notre pays serait paralysé en quelques heures à peine, sans compter l’état de vulnérabilité dans lequel nous nous trouverions soudain plongés et les coûts que cela entraînerait, de 2 à 4 milliards de francs par jour pour un black-out, par exemple.

Le déplacement de notre société vers la digitalisation, la centralisation des données, l’utilisation de systèmes complexes pour les traiter et notre recours constant à l’informatique – que ce soit à titre privé, professionnel ou institutionnel – font que nous sommes devenus à la fois très dépendants vis-à-vis de cette technologie et très peu résilients en cas de crise grave.

La Suisse ne peut pas rester spectatrice de ce phénomène, qu’un grand nombre de nos voisins ont d’ailleurs empoigné avec une volonté politique affirmée et l’engagement d’importants moyens financiers, techniques et humains. C’est la raison pour laquelle le département que je dirige a lancé une réflexion approfondie et dynamique sur cette question. Elle a débouché sur un plan d’action qui prévoit de tripler d’ici 2020 les effectifs répartis entre l’Armée et le SRC pour lutter contre les cybermenaces. A cette fin, nous n’allons pas créer de nouveaux postes, mais envisager des réallocations en fonction de nos priorités et de nos impératifs. L’urgence demande, les moyens commandent.

Voilà, Mesdames et Messieurs, chers délégués, ce sur quoi j’ai souhaité insister aujourd’hui, même si les défis et les projets ne manquent pas au sein de mon département, notamment en matière de défense, en particulier s’agissant du nouvel avion de combat, sur lequel j’aurais probablement l’occasion de m’exprimer plus en détail prochainement.

Pour conclure, il faut garder à l’esprit qu’il y a toujours une part de fatalité et d’imprévu lorsqu’il est question de sécurité. Mais la fatalité, ainsi que le relevait l’écrivain Romain Rolland, « c’est l’excuse des âmes sans volonté ». La mienne est de mettre tous les atouts de notre côté pour que cette fatalité nous trouve aussi bien préparés et réactifs que possible.

Je vous sais gré de votre appui dans l’accomplissement de cette rude mission.

Merci de votre attention.

Guy Parmelin
Guy Parmelin
conseiller fédéral Bursins (VD)
 
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