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Armée

La chasse aux pirates avec des soldats suisses – non merci

Faut-il envoyer des soldats suisses combattre les pirates au large de la Somalie ? Pour toute personne qui, comme nous, accorde encore un peu d’importance au concept de neutralité armée…

Yvan Perrin
Yvan Perrin
conseiller national La Côte-aux-Fées (NE)

Faut-il envoyer des soldats suisses combattre les pirates au large de la Somalie ? Pour toute personne qui, comme nous, accorde encore un peu d’importance au concept de neutralité armée, fondement de notre sécurité, cette question est pour le moins incongrue. Malheureusement, les valeurs qui ont fait la réputation et la prospérité de notre pays sont en voie de disparition. L’UDC est désormais bien seule à lutter pour perpétuer un héritage que des siècles de sagesse politique nous ont laissé.

Dans ces conditions, nous allons tout-de-même devoir examiner l’éventualité d’envoyer des militaires suisses en Somalie. Quelques mots tout d’abord sur la région qui nous occupe. Trait d’union entre l’Afrique et l’Asie, le Golf d’Aden et les côtes somaliennes sont depuis la nuit des temps des lieux d’échanges commerciaux intenses et donc malheureusement le théâtre de juteuses activités illégales, trafics divers et piratage notamment. L’importance stratégique de cette région du globe s’est considérablement accrue dès le percement du Canal de Suez entre Méditerranée et Mer Rouge en 1869. Auparavant, le transport des marchandises avec l’Extrême-Orient nécessitait de contourner le continent africain par le cap de Bonne-Espérance, opération demandant du temps et impliquant des risques non négligeables.

Au cours de la première moitié du 20ème siècle, France et Grande-Bretagne ont veillé avec un soin jaloux sur leurs intérêts économiques et naturellement sur les voies de communication permettant de relier les métropoles aux colonies. Les choses se gâtent après la deuxième guerre mondiale avec les aspirations à l’indépendance. Prenant la tête du monde arabe, le président égyptien Gamal Abdel Nasser nationalise le Canal de Suez en 1956. Dans les semaines qui suivent, la France et l’Angleterre, avec la complicité de l’Etat d’Israel, organisent une opération aéroportée en vue de reprendre le contrôle du Canal. Ces deux puissances n’ont pas hésité à risquer une guerre pour assurer la sécurité des voies de communications vers l’Inde et l’Extrême-Orient. Cinquante ans plus tard, rien n’a changé. Cette région du globe reste toujours aussi disputée. Ce n’est pas par hasard qu’on y trouve notamment la marine de guerre américaine en Méditerranée et dans l’Océan Indien, les Français à Djibouti et les Britanniques à Oman.

La situation s’est encore compliquée avec l’arrivée depuis quelques années d’un nouvel acteur, à savoir la Chine. Ayant adapté la doctrine maoïste aux nécessités économiques, les Chinois ont besoin de matières premières pour assurer leur croissance. L’Afrique, riche de son sous-sol, constitue un fournisseur et partenaire commercial incontournable. La Chine a donc elle aussi besoin de pouvoir naviguer sans entraves dans la région.

C’est dans cet environnement tendu qu’interviennent les pirates somaliens. Profitant de l’absence d’Etat de droit, ces brigands s’attaquent avec une audace de plus en plus grande aux navires qui croisent le long de leurs côtes. On a assisté ces dernières années à une augmentation exponentielle des cas de navires détournés, 12 attaques et tentatives recensées en 2006, 35 en 2007 et plus de 150 à fin 2008 avec une pointe de 19 cas en septembre.

Cette dégradation de la sécurité maritime a fini par émouvoir la communauté internationale qui a choisi d’agir. L’occasion, il est vrai, constituait une aubaine. Les actes de piraterie fournissaient un prétexte tout trouvé pour augmenter une présence militaire déjà forte dans la région. Ne nous y trompons pas, derrière la lutte contre les pirates somaliens, c’est bien le contrôle d’un axe maritime essentiel dont il est question. Pour ce faire, l’Union européenne, comptant dans ses rangs la France et la Grande-Bretagne, intéressés au premier chef, lance en novembre 2008 l’opération Atalante visant officiellement à protéger les navires du Programme Alimentaire Mondial ainsi que d’une manière plus générale tout bâtiment vulnérable transitant au large des côtes somaliennes. A l’heure actuelle, pour la seule UE, l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Grèce et le Royaume-Uni fournissent une contribution opérationnelle permanente avec l’appui ponctuel d’autres membres de l’Union. On ne prend pas grand risque à pronostiquer que lorsque les pirates auront été réduits à néant, les différents acteurs veilleront à maintenir une forte présence militaire dans la région, pour assurer la sécurité internationale bien sûr et peut-être veiller un peu sur leurs intérêts propres.

Et la Suisse dans tout cela ?

Après l’adhésion à l’ONU et au Partenariat pour la Paix, antichambre de l’OTAN, la Suisse ou plutôt Micheline Calmy-Rey ne pouvait rater l’exceptionnelle opportunité offerte par les pirates somaliens. L’occasion était trop belle de chercher une nouvelle fois à jouer dans la cour des grands. Bien sûr, la Suisse n’est pas franchement une puissance maritime. Qu’à cela ne tienne, nous avons des navires battant pavillon helvétique, il convient donc de les défendre. De plus, et ça tombe bien, notre armée dispose d’une unité d’élite, le Détachement de reconnaissance de l’armée DRA 10, qui s’entraîne mais n’est pas engagée. Quel gaspillage ! Notre Ministre des Affaires étrangères a donc proposé de mettre à disposition de l’opération Atalante un contingent de 30 militaires suisses parmi lesquels on trouve des juristes (!) et une équipe médicale.

Alors que d’ordinaire tout ce qui inféode la Suisse à l’UE reçoit un accueil enthousiaste voire délirant de la classe politique, cette proposition suscite un scepticisme certain. Manifestement, l’idée de guerroyer sous commandement étranger n’est pas du goût de tout le monde. Quelques esprits chagrins font même remarquer que s’embarquer dans ce genre d’opération présente certains risques dans la mesure où nos soldats pourront faire feu certes mais seront aussi la cible d’assaillants qui ne tirent pas nécessairement mal. Le danger de compter des blessés voire des morts parmi nos soldats n’est de loin pas une vue de l’esprit. A plusieurs occasions, des échanges de tirs ont déjà eu lieu entre pirates et militaires engagés. On dénombre d’ores et déjà des morts dont un otage français tué par les commandos marine venus à son secours lors de la libération du voilier Tanit en avril 2009.
Je l’admets volontiers, l’arraisonnement de bateaux pirates ne donne pas toujours lieu à un échange de tirs. Il arrive aussi que tout se passe bien, tellement bien d’ailleurs que les pirates sont remis en liberté faute de bases légales pour les arrêter comme l’a constaté récemment la marine hollandaise. Cette situation ridicule ne devrait à futur plus se reproduire, la communauté internationale envisageant de sous-traiter le suivi judiciaire aux autorités kenyanes. Le choix est judicieux. Après sa dernière visite au Kenya en février 2009, le rapporteur des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires – notez son titre – a rappelé que le rôle d’un gouvernement est de protéger les citoyens des agissements des délinquants mais certainement pas de tirer une balle dans la nuque d’un suspect. Avec de pareils experts, nul doute que la piraterie sera rapidement éradiquée. On peut s’étonner peut-être que notre gouvernement soit toujours prêt à se prosterner devant les baillis de l’ONU dès lors qu’il est question de notre justice mais n’ait aucun scrupules à livrer des hommes présumés innocents à des autorités judiciaires plus portées sur l’efficacité que sur le respect du droit.

Malgré ces nombreux problèmes soulevés, la détermination du Conseil fédéral à aller pacifier les mers reste intact. Il incombe maintenant au Parlement de modifier la loi militaire pour permettre la projection de troupes suisses à l’étranger car c’est bien là l’enjeu. Ne soyons pas dupes, là-encore, les pirates ont bon dos. Ce n’est bien sûr pas avec nos trente militaires qu’on changera quoi que ce soit le long des 3’000 kilomètres de côtes somaliennes. Le but est ailleurs. Il s’agit ici de doter la Suisse des bases légales nécessaires permettant à l’avenir la projection de soldats suisses partout où il semblera bon au Conseil fédéral de se mêler de ce qui le regarde pas.

La neutralité sera la première victime de cet activisme, nos soldats les secondes. A ce propos, on connaît déjà la répartition des rôles au sein du Conseil fédéral. Micheline Calmy-Rey ira satisfaire son ego dans les salons feutrés de la diplomatie en proposant l’envoi de militaires suisses et lorsque les premiers cercueils seront de retour, c’est à Ueli Maurer qu’il appartiendra de les accueillir.

Ce scénario n’est heureusement pas encore une fatalité. Nous avons encore la possibilité de sauver cette neutralité qui nous est si chère. Rappelons-nous les mots de Bismarck « Celui qui a plongé son regard dans l’oeil vitreux d’un soldat mourant sur un champ de bataille réfléchira à deux fois avant d’entreprendre une guerre » et disons haut et fort : La chasse aux pirates avec des soldats suisses – non merci !

 

Yvan Perrin
Yvan Perrin
conseiller national La Côte-aux-Fées (NE)
 
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