L’initiative pour des soins infirmiers forts semble bonne mais n’apporte rien : seul le contre-projet est efficace

Céline Amaudruz
Céline Amaudruz
conseillère nationale Genève (GE)

En préambule, j’aimerais souligner que partisans de l’initiative et promoteurs du contre-projet sont unanimes sur le constat, le personnel infirmier est précieux. Nous sommes tous susceptibles de connaitre des problèmes de santé, de handicap et avons certainement été, sommes ou serons tous patients un jour ou l’autre. Lorsque les difficultés arriveront, nous confierons notre vie à celles et ceux qui ont choisi d’en prendre soin. Et nous serons heureux que ces personnes soient à notre écoute et capables d’apporter la réponse dont nous avons besoin.

Le système de santé actuel fonctionne par temps calme mais n’est pas adapté à la tempête. Le Covid, a mis en évidence un grave manque de soignants infirmiers notamment. L’arrivée massive de patients gravement atteints a provoqué une surcharge des services, touchant par ricochet l’ensemble de la prise en charge sanitaire. Nombre d’acte médicaux programmés ont été repoussés à des temps meilleurs, faute de personnel médical. L’effort a été porté en faveur des malades du Covid, ce qui était judicieux mais qui a souvent laissé d’autres patients en attente malgré des atteintes parfois graves.  Pour limiter les dégâts liés à cette pandémie, les soignants ont fait de leur mieux, multipliant les rotations et donc les heures les heures de travail. Nous leur en savons gré, ils ont pris des risques pour nous. En août 1940, Churchill disait à propos des pilotes de chasse britanniques que jamais tant de gens n’ont dû autant à si peu. Je crois qu’on peut reprendre ces mots au sujet de ces femmes et hommes qui se consacrent à notre santé.

Cet engagement méritoire ne peut être consenti dans la durée. L’engagement extrême permet de faire face à un événement extraordinaire ponctuel mais lorsque la situation perdure, le dévouement devient trop lourd. Stress, fatigue se font sentir, ajoutant aux difficultés actuelles. Les absences dues à la fatigue aggravent la pénurie de personnel et le cercle vicieux se met en marche. Moins de soignants, plus de stress, plus de stress, moins de soignants. Nous avons donc bien un problème de personnel infirmier, c’est là qu’il faut agir.

L’initiative pour des soins infirmiers forts alourdirait la Constitution

L’initiative dont nous débattons vise à corriger cette situation hautement insatisfaisante en prenant diverses mesures en faveur du personnel infirmier. Il est tout d’abord question de former davantage de soignants. La Confédération et les cantons sont appelés à investir dans la formation afin de garantir un nombre de places suffisant non seulement pour assurer la relève mais pour combler les lacunes. Il y a également lieu d’augmenter les indemnisations de formation. Ces mesures visent à augmenter l’attractivité de la formation dans les soins. Jusque-là, nous sommes d’accord. Si nous voulons disposer de personnel infirmier en suffisance, il convient d’assurer la formation des personnes qui souhaitent exercer dans ce domaine.

Avant d’évoquer le texte lui-même, j’aimerais relever qu’une initiative ne peut être que de rang constitutionnel. Pour bien comprendre de quoi nous parlons, je rappelle que la Constitution, c’est la loi fondamentale qui fixe l’organisation et les principes réglant le fonctionnement de notre pays. Elle ne peut être que générale, c’est un cadre dont découlent ensuite les lois puis les ordonnances. Dans le cas qui nous occupe, il est question d’introduire des notions détaillées relatives à l’exercice d’une profession spécifique. On introduirait de ce fait une confusion entre le général et le particulier, l’un et l’autre ayant une position précise dans notre ordre juridique, Constitution pour le premier, lois pour le second. Du seul point de vue juridique, l’initiative abaisserait la Constitution en y introduisant des éléments étrangers relevant de la loi. Cet élément à lui seul suffirait à plaider en faveur du contre-projet. Mais que veut-il ?

L’initiative contrevient au principe de subsidiarité

Le contre-projet propose précisément ce que réclament les initiants. La Confédération et les cantons consacreront un milliard de francs environ durant huit ans à la promotion de la formation. Des aides financières ciblées seront disponibles en faveur des étudiants. Les contributions attribuées aux institutions qui participent à la formation pratique de même que les subventions en faveur des hautes écoles seront augmentées dès lors qu’elles étoffent leurs offres de formation. Le contre-projet répond ainsi très exactement un problème que nous connaissons, le manque de personnel. C’est là encore une fois que nous voyons la nécessité d’agir.

Les étudiants infirmiers disposeront ainsi d’une offre plus large en matière de place de formation. Ils pourront compter sur un soutien financier si leur situation le nécessite et auront un choix plus vaste en matière de spécialisations infirmières. Nous estimons que ces mesures sont de nature à pallier le manque criant de personnel en rendant la formation plus accessible et plus attractive. Une formation de pointe constitue également une motivation pour avancer dans la carrière et se perfectionner, ce que contre-projet propose. Il sera ainsi possible de limiter les changements d’orientation professionnelle après quelques années d’exercice.

Les partisans de l’initiative vont plus loin, réclamant une intervention de la Confédération au niveau des conditions de travail. Pour prévenir les abandons de la profession, il faut selon eux des horaires fiables, des structures favorables aux familles et des possibilités de faire carrière, ceci en bénéficiant de salaires en rapport avec la hauteur des exigences et de la charge de travail. Il est aussi question de permettre aux infirmiers de facturer directement certaines prestations aux assurances-maladies. J’y reviendrai.

Par simple lecture, ces exigences semblent aller de soi. Mais ce n’est pas le cas. Tout d’abord, confier ces prérogatives à la Confédération revient à dépouiller les cantons qui sont compétents dans le domaine de la santé. Le principe de subsidiarité veut que ce soit l’échelon politique le plus apte à traiter le problème qui s’en occupe. Et dans notre cas, ce sont les cantons. Ils connaissent bien les spécificités de leur territoire, de leur population, les besoins exprimés et donc la manière de répondre aux attentes. Vouloir réglementer les conditions de travail de manière uniforme sur l’ensemble de la Suisse revient à nier les particularités régionales. Chaque canton doit pouvoir rester maître quant à la façon dont il choisit de prendre soin de ses habitants. La question de l’accès aux soins ne se pose pas dans les mêmes termes en milieu rural ou en ville. Il est illusoire de vouloir n’apporter qu’une seule réponse à diverses situations spécifiques.

Concernant la facturation des soins directement aux assurances, le contre-projet reprend cette4 exigence à son compte. Il sera possible pour les infirmiers de facturer directement certaines prestations aux caisses-maladies alors qu’aujourd’hui, seuls les soins prescrits par un médecin sont remboursés. Certaines craintes au sujet de l’augmentation des coûts ont été émises à ce sujet mais je crois pouvoir affirmer que les caisses-maladies sont largement assez vigilantes pour éviter une explosion des coûts.

L’acceptation de l’initiative aggraverait les problèmes

S’agissant des conditions salariales, les prérogatives de la Confédération se limitent à définir un cadre général dans lequel les partenaires sociaux évoluent. Il leur appartient de trouver des accords qui permettent aux employeurs comme aux salariés de trouver leur intérêt. Le salaire est une composante importante des conditions de travail mais est loin d’être la seule. L’environnement professionnel, les perspectives de formation, d’avancement contribuent également à rendre un poste attractif. Le choix d’accepter un emploi se base sur de nombreux facteurs, parfois extérieurs à la profession elle-même comme le fait de disposer d’une place de parc si vous œuvrez en ville, à Genève par exemple.

Les promoteurs du contre-projet estiment au contraire que cette étatisation de la santé n’apportera pas la réponse dont nous avons besoin. Si l’initiative est acceptée, Berne ne pourra que définir des critères généraux pour qu’ils puissent être applicables à l’ensemble de notre pays. L’adaptation locale relèvera toujours des cantons qui seront entravés dans la mise en œuvre compte tenu des conditions fixées par la Confédération. Les prérogatives des différents acteurs agissant dans le domaine de la santé relèvent d’un équilibre subtil qu’il est risqué de remettre en cause. Nous ouvririons une boîte de Pandore dont les effets ne peuvent pour l’heure qu’être très grossièrement esquissés. C’est une refonte en profondeur du domaine infirmier que l’initiative nous propose. On sait que la rapidité n’est pas la qualité première du Conseil fédéral et du Parlement. Il est difficile de pronostiquer le temps que la remise à plat prendrait mais on ne risque rien à évaluer la durée totale à plusieurs années avant de disposer des lois d’application requises par l’initiative. Durant tout ce temps, le problème continuera à croitre et embellir. L’initiative, c’est un catalogue d’intentions louables dont on distingue encore mal la mise en œuvre. Le contre-projet, c’est un texte concret directement applicable ciblant le fond du problème. Avec le contre-projet, les premiers diplômés sortiront des écoles alors que le Parlement serait encore en train de travailler sur la mise en œuvre de l’initiative si elle devait l’emporter. Il me semble que l’urgence dicte notre choix.

Pour ces diverses raisons, je vous invite, Mesdames et Messieurs, à rejeter l’initiative et soutenir le contre-projet.

Céline Amaudruz
Céline Amaudruz
conseillère nationale Genève (GE)
 
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