Exposé

Non aux interventions précipitées de l’Etat

Pris dans la tourmente de la crise hypothécaire américaine, les 50 principaux instituts financiers du monde ont supporté jusqu’au milieu 2008 une perte comptable de quelque 600 milliards de dollars US

Hans Kaufmann
Hans Kaufmann
Wettswil (ZH)

La crise des marchés financiers et ses conséquences pour la Suisse
Pris dans la tourmente de la crise hypothécaire américaine, les 50 principaux instituts financiers du monde ont supporté jusqu’au milieu 2008 une perte comptable de quelque 600 milliards de dollars US, mais ils ont réussi en même temps d’augmenter à nouveau de leurs fonds propres de plus de 300 milliards de dollars US. Ce sont cependant les actionnaires de l’industrie financière qui ont subi les plus grosses pertes puisque la valeur boursière de celles-ci a baissé d’environ 4000 milliards de dollars US depuis l’éclatement de la crise. A ces montants il faut ajouter des pertes de même niveau sur le parc immobilier mondial (aussi en Europe) ainsi que des pertes sur les hypothèques gagées qui se trouvent dans les portefeuilles de nombreux investisseurs. Cette première crise financière globale n’est pourtant pas encore surmontée. Malgré la baisse massive des taux d’intérêt par l’US-Fed, les taux hypothécaires américains sont aujourd’hui plus élevés qu’au début de la crise. Depuis le sommet atteint en juin 2006, les prix des immeubles américains ont baissé de 20%. Cette dégringolade n’est pas encore terminée, si bien qu’on ne voit pas encore la fin de la crise hypothécaire américaine.

La méfiance règne toujours dans les affaires de crédit. Elle se traduit par des taux d’intérêt plus élevés pour les débiteurs faibles (également en dehors du secteur bancaire et immobilier) que pour les créanciers publics. Cette évolution entraîne également des pertes par milliards pour les personnes qui ont investi dans les obligations de débiteurs de ce genre. Et ces derniers doivent payer des intérêts plus élevés lors qu’ils font de nouvelles dettes ou restructurent une dette ancienne. La nécessité de lancer un désendettement au niveau mondial et de renforcer la surveillance des marchés financiers est plus urgente que jamais. Il s’en suit forcément une politique plus restrictive en matière de crédits, ce qui fait souffrir l’économie réelle alors que les pays industrialisés sont de toute manière au bord d’une récession. Les insolvabilités conjoncturelles sont encore à venir et la mort des banques ne fait que commencer.

Les nombreuses interventions des gouvernements et banques centrales, soit par exemple la reprise de banques en péril en Europe (Northern Rock, etc.), la permission donnée à des banques d’investissement de puiser dans les liquidités de l’US-Fed, les actions de soutien en faveur des instituts de lettres de gages Freddie Mac et Fannie Mae, les baisses des intérêts de l’US-Fed qui relance l’inflation ou encore le programme conjoncturel de 150 milliards de dollars US lancé par le gouvernement américain n’ont pas résolu le problème, mais ont uniquement retardé son règlement. La Suisse a elle aussi été massivement frappée par la crise financière, car l’UBS n’a pas été seule à faire des pertes par milliards aux Etats-Unis; d’autres banques, mais aussi des caisses de pension, des assurances et des investisseurs privés sont tombés dans le même piège. Conséquence du ralentissement conjoncturel, l’industrie en subit également le contrecoup. Et l’Etat doit s’attendre à une baisse sensible de ses recettes fiscales.

La régulation ne remplace pas le contrôle
Les raisons de cette première crise financière globale sont trop nombreuses et trop complexes pour être détaillées ici. Il est toutefois évident que la chaîne des problèmes commence par l’attribution de crédits hypothécaires à des acheteurs immobiliers insolvables. L’US-Fed a entre-temps modifié les règles hypothécaires, une manière indirecte d’admettre qu’elle a échoué en tant qu’organe de surveillance de ce créneau du marché. L’échelonnement du financement des hypothèques, la dispersion de la surveillance américaine des marchés financiers et la coopération internationale inefficace ont contribué au désastre. Sur certains marchés financiers, la sévérité de la réglementation a eu pour effet de pousser les intermédiaires financiers vers des marchés non régulés (type SIV, SPV, etc.) pour y vendre à un large public leurs positions de crédit sous la forme de produits structurés et gagés. Le problème a été aggravé par l’inaction des autorités de surveillance des marchés financiers et par leur confiance aveugle en des tiers, par exemple les agences de rating. On a aussi fermé les yeux devant la véritable explosion qu’on connue certains instruments financiers dans les statistiques de la Banque des règlements internationaux (BRI). Les autorités de surveillance avaient reçu des compétences importantes et le public avait fait confiance en pensant que des contrôles seraient faits. Une erreur qui a fini par coûter cher, car les autorités concernées trouvent mille prétextes pour se dégager de leurs responsabilités.

Bâle II et les prescriptions de la CFB
Lorsque la situation aura continué de se stabiliser sur les marchés financiers, les autorités de surveillance demanderont sans doute aux banques d’augmenter leurs fonds propres. En Suisse, la Commission fédérale des banques (CFB) a l’intention de porter à 200% les fonds propres (qui représentent déjà 130% du minimum imposé par Bâle II) par rapport aux actifs pondérés selon les risques; de plus elle songe à introduire un dit leverage ratio, soit un capital propre minimal de 4 à 5% de la somme du bilan. Mais, compte tenu des effets négatifs de cette dernière mesure pour les PME, il est prévu d’exclure totalement ou partiellement ces dernières du calcul du leverage ratio – comme si les affaires de crédit avec des clients suisses étaient moins risquées qu’avec des clients étrangers. A en croire des experts, la concrétisation de toutes les propositions de la CFB concernant les fonds propres pourrait entraîner la plus importante transformation structurelle du secteur bancaire depuis la crise immobilière du début des années nonante. La CFB ayant même l’intention de réguler la politique des dividendes et les remboursements de capitaux, de mauvaises surprises pourraient surgir à ce niveau aussi, car les banques paient tout de même 25 à 30% des dividendes versés par les sociétés suisses cotées en bourse, soit 8 à 9 milliards de francs. Si les dividendes sont fixés par l’Etat pour renforcer les fonds propres, donc s’ils sont réduits de 30% par exemple, l’Etat perdrait environ 1 milliard de francs de recettes fiscales. Mais, ce qui est beaucoup plus grave, c’est qu’il s’agirait là d’une intervention aussi massive qu’inacceptable dans la propriété privée. Le recul du rendement des fonds propres et des versements de dividendes entraînera une baisse des actions des grandes banques qui seraient ainsi exposées à des reprises. Même si la CFB doit approuver toute prise de participation de plus de 10%, le risque est grand qu’une banque étrangère domiciliée dans un pays exigeant moins de fonds propres tente une action de reprise.

A propos du leverage ratio, il est intéressant de constater que la banque qui a subi les plus fortes pertes, la Citigroup, est précisément soumise à une telle règle d’endettement aux Etats-Unis. Pour contourner cette règlementation, elle a placé des crédits gagés et structurés sur des marchés non régulés. Or, ce danger continue d’exister et il presque impossible à contrer. D’une manière générale on constate d’ailleurs que presque tous les problèmes quasiment insolubles – l’échec des agence de rating, la mesure du risque, les fonds d’Etat, les méthodes d’évaluation des actifs non liquides, les méthodes de présentation des comptes (fair value), etc. – sont délégués à des instances internationales dont les compétences reposent parfois sur des bases juridiques faibles.

L’indépendance de la Banque nationale suisse est menacée
La Banque nationale suisse (BNS) joue un rôle important dans le règlement de la crise financière. Elle s’est d’ailleurs montrée très adroite jusqu’ici. Cependant, sa marge de manœuvre a été progressivement réduite ces dernières années. D’une part, elle a été forcée de rejoindre l’orchestre des banques centrales nationales et a dû participer à des actions de fourniture de liquidités pour atténuer la crise de confiance qui affectait les banques internationales, et cela sans tenir compte des éventuelles effets négatifs de ces mesures sur la politique monétaire suisse. Mais la capacité d’agir de la Banque nationale est surtout réduite par l’avidité financière de la Confédération et des cantons qui ont réussi à fixer contractuellement leurs parts aux bénéfices de la BNS, la première fois en 2008. Un réexamen du versement de 2,5 milliards de francs à la Confédération et aux cantons est prévu pour la première fois en 2013. Or, on ne peut répartir des bénéfices que si on en réalise ou si on dispose de réserves bénéficiaires non attribuées. Une grande partie des bénéfices réalisés ces dernières années provient des placements en or. La réalisation de ces bénéfices pour verser des dividendes ainsi que la diversification des placements étaient les principales raisons des ventes d’or par la BNS.

Les prescriptions proposées par la CFB pour les fonds propres interviendraient massivement dans la politique monétaire de la BNS; en effet, une augmentation des fonds propres impose aux banques de réduire leur effectif de crédits, car à l’heure actuelle des nouveaux fonds propres ne peuvent être constitués qu’à des conditions défavorables. Que faut-il faire? La BNS doit augmenter ses réserves plus rapidement, donc y verser plus que 800 millions de francs par an comme jusqu’ici. Les réserves monétaires de la BNS accusent un retard non seulement par rapport au total des sommes des bilans des grandes banques, mais aussi par rapport au volume des importations. Il faut que la BNS soit donc libérée du carcan des versements obligatoires de dividendes afin qu’elle puisse augmenter ses réserves avec des bénéfices non distribués. Toute autre constitution de fonds – même l’émission d’obligations – influencerait la politique monétaire.

Conclusion: l’hystérie régulatrice est un danger pour la place financière
L’UDC s’engage pour un système bancaire fort et performant. Elle soutient donc une éventuelle demande de la BNS de pouvoir augmenter ses réserves. De plus, l’UDC approuve la formation de personnel qualifié, par exemple par l’installation d’une chaire universitaire enseignant la surveillance des marchés financiers. Après la recapitalisation de l’UBS, les grandes banques suisses sont à nouveau en meilleure position avec 11,62% (BIZ Tier 1 Ratio / 2Q 2008) et 10,1% (CS) que les grandes banques étrangères concurrentes (8,1%). Il n’y a donc aucune raison pour que l’Etat se mette à réguler à tour de bras. Il faut aussi se demander si la CFB ne s’arroge pas des compétences de politique monétaires qui appartiennent en fait à la Banque nationale. L’UDC est en tout cas d’avis que des interventions aussi graves dans l’économie privée ne peuvent pas être opérées par la voie d’ordonnances, mais qu’il s’agit de mesures structurelles qui doivent absolument être soumises au Parlement. De toute façon, il faut commencer par analyser soigneusement les conséquences économiques de la hausse massive des fonds propres imposée par la nouvelle règlementation.

Hans Kaufmann
Hans Kaufmann
Wettswil (ZH)
 
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