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Discours du « Bächtelistag » (fête du 2 janvier) à la halle Simplon à Brigue le 2 janvier 2023

Discours prononcé à l’occasion du « Bächtelistag », la fête du 2 janvier, dans le cadre de la manifestation du Nouvel-An, le 2 janvier 2023 à 11 heures à la halle Simplon à Brigue

Christoph Blocher
Christoph Blocher
anc. conseiller national Herrliberg (ZH)

Les versions écrite et orale du discours font foi. L’orateur se réserve le droit de s’écarter fortement du manuscrit.

Un hommage à des personnalités du Haut-Valais et leur importance pour la Suisse actuelle 

Matthäus Schiner (vers 1465–1522)
Cardinal et diplomate

Kaspar von Stockalper (1609–1691)
Le roi du Simplon 

Raphael Ritz (1829–1894)
Le peintre du Valais

Monsieur le Président du parti et du comité d’organisation, Monsieur le Conseiller national Michael Graber,
Chères Habitantes et Chers Habitants du Haut-Valais,
Chères Valaisannes, Chers Valaisans
Chers et fidèles Confédérés de la Confédération restante,
Mesdames et Messieurs,

C’est devenu une tradition que de rendre hommage en début d’année à des personnalités historiques de la Suisse.

Il va de soi que je suis très honoré de pouvoir vous parler comme « Üsserschwiizer », comme Suisse de l’extérieur.

Il n’est en revanche pas question ici d’autres Valaisans qui seront peut-être considérés un jour comme importants – je songe à Sepp Blatter, Pascal Couchepin, Peter Bodenmann ou Oskar Freysinger – tout simplement parce qu’ils vivent encore.

Illustration 2: Vue de Martigny, Bas-Valais

D’abord un coup d’œil sur le Bas-Valais: vous voyez Martigny.

Chers Compatriotes du Bas-Valais, je suis heureux que vous soyez également venus. Je vous demande de comprendre qu’aujourd’hui je parle suisse allemand – donc la langue du Haute-Valais. Je vous ai cependant apporté une traduction de mon discours.

Illustration 3: Schiner, Stockalper, Ritz

Nous rendons hommage aujourd’hui à trois personnalités du Haut-Valais en sachant bien qu’il y en aurait encore bien d’autres à mentionner.

Les voici:

  • au 15e et 16e siècle, le cardinal et diplomate Matthäus Schiner (vers 1465-1522), d’Ernen, un prince de l’église qui a raté de justesse le trône papal, un homme de pouvoir à l’époque de la Renaissance.
  • au 17e siècle, notre regard est attiré par Kaspar von Stockalper (1609-1691), le roi du Simplon et le constructeur d’un magnifique palais à Brigue.
  • au 19e siècle enfin, nous voulons nous souvenir de Raphael Ritz (1829-1894) de Sion, un peintre romantique des hommes, des femmes et des paysages valaisans, un contemporain d’Albert Anker, mon peintre favori.

Illustration 4: Ulrichen dans la haute vallée de Conches

Il n’est pas nécessaire que je vous décrive les charmes des paysages valaisans illustrés ici par une vue du magnifique village d’Ulrichen dans la haute vallée de Conches. Comme beaucoup d’autres « Üsserschwiizer », donc Suisses de l’extérieur comme vous dites ici, nous avons passé nos vacances en famille en randonnant avec nos enfants en âge scolaire dans les vallées et sur les montagnes du Haut-Valais. Plus tard, lors d’excursions en haute montagne, j’ai eu de plaisir de gravir mon premier quatre mille. Mon guide était Art Furrer de Riederalp. Ce ne fut pas mon dernier quatre mille.

Les paysages sont importants, car en fin de compte ils marquent les êtres humains. Ni Matthäus Schiner, ni Kaspar von Stockalper ne seraient imaginables sans la ville de Brigue qui a reçu en 2008 la distinction de « Ville des Alpes de l’année ». Et que serait Raphael Ritz sans le Valais?

Illustration 5: Brigue, 1811

Au 15e, 16e et 17e siècle, donc à l’époque de Schiner et de Stockalper, ainsi qu’au 19e siècle, ce dernier illustré par notre image, Brigue était déjà un important point de départ de la route du col du Simplon. Ce col est non seulement un lieu de vie et de création, mais il était et il est toujours d’une importance capitale pour la Valais.

Image 6: Zermatt

Ayant passé autrefois deux semaines de vacances en famille à Zermatt, je ne puis rendre hommage au Haut-Valais sans mentionner ce lieu et le Cervin. A côté du Mont-Everest, le Cervin est sans doute la montagne la plus célèbre du monde. Il illustre aussi ce que les Valaisans ont été capables de réaliser dans le tourisme à partir d’un paysage aride et autrefois pauvre. Vraiment impressionnant!

Image 7: Lonza, Viège

Mais le Valais, ce n’est pas seulement un tourisme florissant, une histoire passionnante, le terroir d’une belle production viticole. Cette région a aussi connu un développement industriel imposant. Nous voyons ici une image de la Lonza à Viège qui bénéficie d’un développement spectaculaire.

Lorsque j’ai récemment demandé à un fabricant allemand de médicaments si la production de vaccins contre le Covid-19 chez Lonza ne constituait pas un risque de concentration, il a eu cette réponse quelque peu hautaine: « N’ayez aucune crainte. On trouvera certainement une autre raison pour que nous continuions à l’avenir de nous faire vacciner! »

Remontons donc dans le temps d’un peu plus de 500 ans en sachant bien que chaque période à son histoire. Il en est ainsi également pour l’époque de Matthäus Schiner (vers 1465-1522) qui était diplomate et finalement cardinal et ministre de la guerre du Pape.

II. Matthäus Schiner (vers 1465–1522), cardinal et diplomate

Illustration 8: Le cardinal Matthäus Schiner

II. 1 Originaire d’Ernen

Nous savons relativement peu de choses de Matthäus Schiner. Même son aspect nous est inconnu. Les images qui nous ont été transmises de lui ont toutes été réalisées après sa mort. Sa date de naissance exacte est également un mystère. C’était probablement vers 1465. On raconte de lui qu’il était ascétique, fanatique et un ennemi irréductible des Français.

Illustration 9: Maison natale à Mühlebach près d’Ernen

Nous savons cependant avec certitude que ce fut un Valaisan de premier plan. Ce qui est sûr aussi, c’est que ce futur prince de l’église et « presquepape » est né vers 1465 dans cette petite maison de bois à Mühlebach près d’Ernen.

Il est né dans une famille de simples paysans et de charpentiers, donc loin de toute origine aristocratique. Matthäus Schiner a dû participer très tôt aux travaux de la ferme, couper du bois, garder les troupeaux de chèvres. Une carrière typique dans cette population de montagne où seules comptent l’ardeur au travail, la compétence et l’endurance.

Schiner a progressé pas à pas, se concentrant sur sa situation du moment tout en définissant l’objectif suivant vers lequel il tendait avec une énergie indomptable, rappelant la force des eaux du Rhône ou, comme l’appellent les Haut-Valaisans, du Rotten.

C’est ainsi qu’il a fait sa carrière vertigineuse en se consacrant d’abord de toutes ses forces à son hameau de Mühlebach, puis au village d’Ernen comme curé, ensuite comme princeévêque du Valais. Il est à l’origine d’une alliance des anciens Confédérés avec le pape pour ensuite devenir cardinal. Comme ministre de la guerre du Pape, il fut un acteur important de la politique européenne.

Illustration 10: Carte du Valais

Matthäus Schiner parlait parfaitement plusieurs langues. Il était au cœur de la politique valaisanne, ce qui signifiait à l’époque aussi politique européenne, car le Va-lais en tant que corridor alpin offrait la principale liaison entre l’Italie du Nord et l’Europe de l’Ouest grâce aux cols du Grand-St-Bernard et du Simplon.

Tant le roi de France que l’empereur habsbourgeois tentaient donc de séduire le Valais. On aperçoit là un aspect typique de l’histoire suisse puisque les cantons de Suisse centrale avec leur col du Saint-Gothard ont connu un sort semblable.

Illustration 11: Sion

Le Valais était à l’époque une principauté épiscopale, mais dont les sept communes – on les appelait les « Zenden » – étaient puissantes et soucieuses de leurs prérogatives. L’évêque résidait comme « seigneur » dans la cathédrale de Sion. Le Haut-Valais avait conclu une alliance avec les Confédérés et la vallée inférieure du Rhône était depuis le 15e siècle un pays sujet du Haut-Valais.

II.2 Chef des Confédérés

Illustration 12: Le jeune Schiner

Voici une image du jeune Schiner, un stratège sérieux, ambitieux et adroit et aussi un excellent orateur. Il savait toujours profiter des bonnes occasions, d’abord dans la hiérarchie ecclésiastique jusqu’à ce qu’il soit sacré princeévêque de Sion en 1499, devenant ainsi chef spirituel et temporel des Valaisans. Il s’est mêlé de querelles haut-valaisannes entre les partisans de la France, dirigés par son ancien soutien, un dénommé Supersaxo, et les ennemis de la France. Schiner détestait les Français qui avaient conquis la Lombardie. Il s’est donc battu pour une alliance entre Milan, l’empereur habsbourgeois et le Pape.

Illustration 13: Rome, vers 1500

Lors de la diète de 1510, la Valais a réussi à imposer après de rudes négociations un accord avec le Pape Jules II. Aux termes de ce traité, le Pape avait le droit de mobiliser chaque année 6000 soldats confédérés. En remerciement de ce succès, Matthäus Schiner a été sacré cardinal à Rome.

Son hostilité à la France a cependant fini par diviser le Valais. Schiner a dû finalement quitter sa patrie, ce qui l’a cependant conforté dans son intention de forger une sainte alliance entre le Pape, Venise, l’Espagne et l’Angleterre contre la France.

Illustration 14: Matthäus Schiner conduit les Confédérés

Et il arriva ce qui devait arriver.

En 1512 Schiner chasse les Français de la Lombardie avec l’aide de mercenaires confédérés lors de la campagne de Pavie. Ce fut son plus grand succès comme chef militaire. Mais en réalité ce fut une victoire des mercenaires suisses si bien que la Confédération devint maîtresse de la Lombardie. Ce rôle de grande puissance ne devait cependant pas durer longtemps. En 1515 les Confédérés – et avec eux Matthäus Schiner en tant que commandant en chef des troupes papales – subirent une défaite douloureuse à Marignan. Cet échec eut cependant en fin de compte des effets heureux pour la Suisse comme en témoigne l’histoire de sa neutralité.

Malgré cette défaite les Confédérés ont pu conserver le Tessin grâce à Schiner. Toutefois, la position du cardinal en fut durablement affaiblie à Rome comme en Valais.

Illustration 15: Huldrych Zwingli

Mätthäus Schiner dut quitter définitivement le Valais en 1517 à cause du conflit qui divisait les Valaisans. Il s’est d’abord enfui à Zurich où il s’est fort bien entendu avec le réformateur Huldrych Zwingli, peut-être parce que celuici aussi avait fait une carrière glorieuse alors qu’il n’était qu’un fils de paysans de montagne. Mais comme Zwingli était un réformateur, il n’a pas pu devenir cardinal.

II.3 Politicien européen

Illustration 16: L’empereur Charles V

Jamais cependant le combatif Matthäus Schiner n’a perdu de vue son objectif de conduire les Confédérés dans une alliance avec le Pape et d’unifier l’Italie sous la conduite du Vatican tout en la libérant des Français. En 1519 il a soutenu avec succès l’élection de Charles V de Habsbourg comme empereur romain germanique. Deux ans plus tard, il a reconquis avec l’aide des Confédérés la ville de Milan.

Illustration 17: Le cardinal Matthäus Schiner

La candidature de Matthäus Schiner au trône du Pape a échoué de justesse malgré le soutien de l’empereur Charles V. Il ne lui manquait que deux voix, conséquence de l’opposition farouche des cardinaux français.

Cela ne l’a pas empêché de soutenir loyalement le nouveau pape, Hadrien d’Utrecht. Peu après, le 1er octobre 1522, Matthäus Schiner est mort à Rome des suites de la peste – certains prétendent de celles de la syphilis.

Illustration 18: Monument à Ernen

Un monument érigé à Ernen rappelle aujourd’hui le plus grand fils du Valais. L’année 2022 était le 500e anniversaire de sa mort. Bien qu’il eût des enfants – ce qui n’était pas extraordinaire pour les prêtres catholiques de l’époque – il passait pour être fort pieux, sévère, mais aussi ouvert au monde et tenace.

Illustration 19: Schiner et les Confédérés

Résumons-nous.
Sans son origine, sans son double rôle d’évêque et de souverain temporel, sans la position du Valais à la frontière italienne avec d’aussi importants passages alpins que le Grand-Saint-Bernard et le Simplon, Matthäus Schiner ne serait jamais devenu un homme d’Etat d’importance européenne. Un tableau au mur de la salle à manger de la garde suisse au Vatican rappelle ce cardinal à l’énergie indomptable à une époque agitée par des guerres. C’est certainement aussi à cause cette personnalité exceptionnelle que les Valaisans ont presque toujours fourni le gros de l’effectif de la garde suisse depuis sa création en 1506.

Mais peut-être le Bas-Valais serait-il toujours une partie de la France et le Tessin n’appartiendrait-il pas entièrement à la Suisse sans Matthäus Schiner. Sans lui, la destinée de la Suisse, voire celle de l’Europe méridionale, eût peut-être été différente. Comment la bataille de Marignan se serait-elle terminée sans Matthäus Schiner? Qu’en aurait-il été de la politique de grande puissance, puis de l’histoire à succès de la neutralité de la Suisse?

III. Kaspar von Stockalper (1609–1691), roi du Simplon

III.1 Puissance et splendeur

Illustration 20: Tour Stockalper, Gondo

En venant d’Italie pour rejoindre le Valais via le col du Simplon, on aperçoit dans le village frontalier de Gondo cette imposante tour vieille de 350 ans.

Illustration 21: Ancien hôpital, Simplon

Poursuivons notre ascension depuis Gondo. Au col du Simplon nous voyons avec surprise à cette altitude une autre imposante construction de granite, l’ancien hôpital avec son clocher baroque.

Illustration 22: Palais Stockalper, Brigue

Nous entamons la descente sur cette route sinueuse jusqu’à ce que la vue s’ouvre largement sur la vallée du Rhône. Une des premières choses qui frappe nos yeux à l’arrivée à Brigue est une magnifique construction avec trois tours coiffées chacune d’un toit brillant en forme de bulbe. Ce palais aussi porte le nom de son maître d’ouvrage: Stockalper.

Ces trois impressionnantes constructions – la tour de Gondo, l’hôpital du col du Simplon et le superbe palais de Brigue – ont quelque chose en commun: ils ont le même constructeur. Il ne s’agissait pas d’un célèbre architecte, mais d’un maître d’ouvrage très fortuné du Valais: Kaspar von Stockalper (1609 – 1691). Voilà pourquoi le principal monument de la ville de Brigue s’appelle le Palais Stockalper.

On imagine comment cette extraordinaire manifestation de puissance et de richesse a dû impressionner les voyageurs du 17e siècle!

Illustration 23: Kaspar von Stockalper

Beaucoup de noms ont été donnés à ce constructeur: Baron Kaspar von Stockalper zum Thurm, roi du col du Simplon, maître politique et économique du Valais, entrepreneur vendant du sel et des mercenaires, promoteur immobilier, mécène, catholique pieux, mais comme me l’a dit un politicien valaisan, c’était surtout un filou.

Comme Matthäus Schiner, Kaspar von Stockalper n’est pas imaginable sans la ville alpine de Brigue et encore moins sans le col du Simplon. Il n’avait pourtant pas les mêmes origines que le fils de paysan Schiner.

Mais tous les deux – Schiner et Stockalper – ont traité avec des empereurs, des rois et des papes. Durant sa vie le « grand Stockalper » a été célébré comme bienfaiteur, mais son égoïsme, sa cupidité et son manque d’égards lui ont aussi valu de nombreuses inimitiés. Son ascension fut presque aussi époustouflante que sa chute brutale. Là encore, il existe quelques similitudes avec la vie de Matthäus Schiner qui vivait 150 ans plus tôt.

III.2 L’ascension

Illustration 24: La vieille maison Stockalper

Contrairement au cardinal Schiner, Stockalper est né dans une famille riche et influente. Son arrière-grand-père Peter avait déjà construit cette maison familiale à cinq étages et assumait la fonction de gouverneur séculaire du Valais. C’est ici qu’est né Kaspar en 1609. Pour une famille aussi influente, il était évident que le fils devait faire des études. Kaspar a fréquenté durant six ans le collège des Jésuites de Sion.

Illustration 25: Collège des Jésuites à Fribourg en Brisgovie

Le jeune Stockalper a poursuivi ses études en 1627/28 à l’Université des Jésuites en Brisgovie. Il y a appris plusieurs langues et les rudiments du métier de juriste. Ensuite il a travaillé en Valais comme notaire public alors qu’il n’avait pas poussé ses études jusqu’au diplôme. Sa vie durant il a eu beaucoup de respect pour les Jésuites, le Pape et l’église catholique. Il est devenu un grand bienfaiteur tout en sachant adroitement combiner ses bienfaits avec ses affaires.

Illustration 26: Le Valais politique

L’est du Valais était composé de sept « Zenden » (sorte de grandes communes) jouissant d’une grande indépendance alors que l’ouest, donc le Bas-Valais, était un pays sujet que les Haut-Valaisans administraient comme une seigneurie commune avec deux baillis installés à St-Maurice et Monthey. Le Valais était un Etat associé à la Confédération, mais il avait aussi besoin de bonnes relations avec la France, la Savoye et Milan, ville sous la domination de l’Espagne habsbourgeoise.

Illustration 27: Le sentier muletier du Simplon

Kaspar von Stockalper a rapidement compris l’importance du Simplon en tant que route commerciale conduisant du nord et de l’ouest de l’Europe vers les centres de Gênes, de Milan ou encore de Venise. Fortement touchés par la Guerre de Trente-Ans (1618-1648) qui dévastait alors l’Europe, les cols des Grisons n’étaient que partiellement praticables. Kaspar von Stockalper a étudié de près les affaires de transit en Europe et a fini par obtenir le contrôle de la route Brigue-Simplon-Domodossola. Il est d’ailleurs possible de vivre aujourd’hui encore en direct les transports à dos de mulet sur la « voie de Stockalper » que l’on voit sur cette image.

Vous le constatez une fois de plus: le paysage marque les êtres humains. Les Grisons sont marqués par les cols de leur canton, les habitants de Suisse centrale par le St-Gotthard et les Valaisans par le Simplon et le Grand-Saint-Bernard.

Illustration 28: Comtesse de Bourbon

Le Simplon a apporté à Stockalper, alors âgé de 25 ans, un mandat prestigieux: la princesse Marguerite, comtesse de Bourbon Condé, épouse du prince de Savoye et parente du roi de France, voulait franchir en hiver le col du Simplon au départ de Brigue avec une importante suite et 150 chevaux. L’entreprise fut une réussite et rapporta à Stockalper une grande renommée auprès des cours princières européennes.

Illustration 29: Les armoiries de Riedmatten

Après le décès prématuré de sa première femme, Kaspar von Stockalper a épousé Cäcilia von Riedmatten. Comme ses armoiries l’indiquent, cette dernière est éga-lement issue d’une famille célèbre qui a produit six évêques. Cäcilia lui a donné 13 enfants, mais dont neuf sont décédés en bas âge. Elle semble avoir eu elle aussi le sens des affaires et fut un soutien efficace de son mari qu’elle remplaçait à la tête de l’entreprise durant ses nombreuses absences.

III.3 Homme d’Etat et important chef d’entreprise

Illustration 30: La diète de Baden

Propriétaire de la mine de fer de Gantergrund, Stockalper fut un industriel et a fini par obtenir le monopole de la totalité du transit. En tant que délégué valaisan à la Diète de Baden, il a obtenu des Confédérés la protection des cols alpins et la défense de ces routes en cas d’attaque.

La Suisse a eu l’intelligence de rester en dehors de la guerre, mais elle a offert des troupes de mercenaires. Comme Schiner s’est acquis la célébrité en mettant ces troupes à disposition du Pape, Stockalper a brillé dans le même genre d’affaire, celui des mercenaires. Il faut cependant rappeler que c’est principalement au service des rois de France que les mercenaires suisses ont sacrifié leur vie.

Illustration 31: Sacs de sel

Kaspar von Stockalper a finalement obtenu le monopole du commerce du sel, une source énorme de richesses et d’influence. L’importation de sel était indispensable à la fabrication de fromage et de viande séchée, donc d’une importance quasi systémique pour le Valais.

Illustration 32: Canal navigable

Stockalper avait aussi de grandes visions. L’une d’elles consistait en un projet de voie navigable entre le lac Léman et le Valais central. 80 écluses auraient été nécessaires pour franchir la différence d’altitude. Trop sauvage, le Rhône ne convenait pas au transport de marchandises. Stockalper n’a jamais achevé cet ouvrage, mais il a tout de même réalisé un canal navigable qui porte encore son nom pour le transport du sel dans la plaine de Chablais.

Illustration 33: Le pape Urbain VIII et l’empereur Ferdinand III

Cela faisait longtemps que Stockalper ne se contentait plus du Valais et du reste de la Suisse. Les faveurs que lui accordaient les plus hauts dignitaires ecclésiastiques et les princes étaient un puissant moteur de ses ambitions. Vous le voyez bien: des personnalités valaisannes comme Schiner et Stockalper ne traitent qu’avec des papes, des empereurs ou des rois, rien de moins!

Le pape Urbain VIII l’a nommé « Chevalier de l’ordre de l’éperon d’or ». Son beau-frère avait entretemps été sacré évêque. L’empereur Ferdinand III l’a anobli en lui donnant le titre de « Kaspar Stockalper vom Thurm ». A noter que cette faveur lui a été accordée en même temps qu’au maire de Bâle, Johann Rudolf Wettstein, en remerciement de ses services exceptionnels lors des négociations de la Paix de Westphalie en 1647/48. C’est à lui que la Suisse doit sa totale indépendance et son détachement du Saint-Empire romain germanique.

Illustration 34: La vigne valaisanne

Stockalper s’est montré peu scrupuleux en multipliant les prêts d’argent tout en se faisant passer pour un créancier généreux. Il a fini par dominer le marché financier valaisan, mais il cherchait en réalité à accaparer des terres. Il a poussé de nombreux paysans au surendettement jusqu’à ce que ceux-ci ne puissent plus payer les intérêts de leur dette et doivent lui céder leurs pâturages, champs et vignes, et cela bien audelà des limites du Valais. « Rien n’est durable sauf la terre », voilà sa devise qu’il dissimulait derrière une attitude de mécène généreux.

III.4 Maître d’ouvrage et fondateur

Illustration 35: Le collège des Jésuites de Brigue

Il est cependant resté un mécène authentique pour l’église en offrant généreusement des terrains aux Jésuites pour la construction d’un collège à Brigue. Il a également fait construire un couvent pour les Capucins. Grâce à Stockalper, l’église de Glis a été restaurée et agrandie. Il a financé le couvent des Ursulines, l’hôpital St-Antoine et bien d’autres œuvres.

Reste que ses intentions pieuses étaient toujours mêlées à la recherche de bénéfices économiques.

Illustration 36: Le Palais Stockalper

Stockalper avait 40 ans lorsqu’il a décidé de faire la démonstration de son pouvoir devant le monde entier en entreprenant la construction d’un gigantesque château à Brigue. Le gros œuvre n’était achevé qu’après 17 ans. Le bâtiment principal devait comprendre quatre étages et les combles. Plus les locaux étaient élevés, plus leur décoration était magnifique. Cela dit, Stockalper n’a jamais utilisé et habité ce bâtiment!

Illustration 37: La cour des arcades

Servant surtout à impressionner le visiteur par sa magnificence, la cour des arcades à deux et trois étages est d’une beauté et d’une élégance exceptionnelles. Dédiées aux trois rois mages de la Bible, les trois tours dominent cette construction qui est la plus grande du baroque séculaire de l’espace alpin.

Illustration 38: Kaspar von Stockalper

Dans les années 1660 Kaspar von Stockalper était au sommet de son pouvoir. En 1663 il a séjourné à Paris pour signer avec le roi Louis XIV un accord sur des troupes de mercenaires. En tant que gouverneur il décidait de l’avenir du Valais. Son groupe industriel diversifié occupait plus de mille personnes. En tant que politicien, chef d’entreprise, fondateur, maître d’ouvrage et grand propriétaire foncier il a acquis une richesse incommensurable.

Illustration 39: Domodossola

Mais le jour arriva où Stockalper devint trop grand pour son entourage. Les représentants des quatre « Zenden » de Viège, Loèche, Sierre et Sion se sont élevés contre son pouvoir excessif et lui ont reproché diverses malversations, voire des crimes.

La chute fut encore plus rapide que l’ascension. Stockalper a perdu toutes ses fonctions et une partie considérable de sa fortune a été confisquée. Il s’est enfui à Domodossola où il a habité durant six ans son palais de la place du marché.

Après voir fait des excuses du bout des lèvres, il lui fut permis de revenir à Brigue en 1685. Seul un petitfils de la lignée masculine lui a survécu. Les Stockalper demeuraient une famille fortunée et purent bientôt à nouveau occuper des fonctions importantes en Valais. Plus jamais cependant la famille n’a eu un rejeton aussi exceptionnel que Kaspar von Stockalper.

IV. Raphael Ritz (1829–1894): peintre du Valais

IV.1 Rhin ou Rhône?

Illustration 40: César Ritz, Hôtel Ritz, Paris

Lorsqu’un Zurichois entend le nom de Ritz, il songe sans doute d’abord au prestigieux Hôtel Ritz de Paris que l’on voit sur cette image. La plupart des gens ne peuvent probablement pas s’offrir une chambre dans cet établissement.

Cela dit, il existe tout de même un lien entre ce simple peintre romantique du Valais et cet hôtel, car le fameux hôtelier Cäsar Ritz – également visible sur notre image – a donné son nom à son établissement parisien. Et il est originaire de Bellwald tout comme la famille valaisanne d’artistes Ritz dont le fils le plus connu, Raphael Ritz, était même un cousin éloigné du fameux pionnier de l’hôtellerie.

Illustration 41: Père et mère Ritz-Kaiser

Le père de Raphael Ritz était Lorenz Julius Ritz, originaire de Bellwald, mais sa mère était née Kaiser de Stans dans le canton de Nidwald. Raphael n’avait que 13 ans quand elle est décédée. Aussi bien le père de Raphael que ses deux frères et sa mère étaient des peintres d’églises et d’images de saints. Bien que Raphael fût formé en premier dans ce genre de peinture et qu’il aidât régulièrement son père dans des peintures d’autels et de retables, il a fini par choisir une autre voie artistique.

Illustration 42: Düsseldorf, vers 1850

Dans le but de se perfectionner, il s’est rendu en 1854 à Düsseldorf dont l’exceptionnelle académie artistique jouissait d’une renommée internationale. A l’âge de 30 ans il a fondé son propre atelier à Düsseldorf et le succès ne s’est pas fait attendre – contrairement à son contemporain, le peintre bernois Albert Anker qui s’est formé à Paris en compagnie de grands impressionnistes comme Monet, Van Gogh et bien d’autres. Comme Ritz, Albert Anker fut un observateur attentif de la vie du peuple, mais alors du Seeland bernois et non pas du Valais.

Raphael Ritz s’est donné pour objectif de fixer picturalement la vie du peuple valaisan et les paysages valaisans du 19e siècle. Il était partagé entre les traditions d’hier et le début de la modernité. Ritz a notamment peint le pèlerinage vers l’ermitage de Longeborgne fondé il y a cinq siècles et toujours habité.

Illustration 43: Pèlerinage à Longeborgne, 1868

Les nombreuses années passées à l’étranger ont donné à Raphael Ritz une certaine distance par rapport à ses sujets, mais cela ne l’empêchait pas de s’intéresser à la vie du peuple rural valaisan. Des jeunes gens qui ont encore la vie devant eux, mais aussi des personnes âgées sur le devant de la scène écoutent attentivement les paroles du prêcheur. La religiosité de ce tableau est perceptible, mais sans jamais s’imposer à l’observateur. Cette œuvre confère un sentiment de bien-être et de protection.

Illustration 44: Albert Anker: enterrement d’un enfant, 1863

Nous faisons le même constat chez le peintre de genre le plus connu de Suisse de cette époque, c’est-à-dire Albert Anker. Né en 1831, soit deux ans avant Ritz, Anker était originaire d’Ins dans le Seeland bernois. Bien qu’ayant reçu une formation théologique, Anker ne fait transparaître la religion qu’en marge et juste en passant dans ses œuvres. Son fameux tableau « Enterrement d’un enfant » illustre bien ce propos. Le prêtre se tient discrètement à gauche à l’ombre d’un cyprès alors que le centre est occupé par un chœur d’enfants en pleine lumière.

Illustration 45: Petite cavallerie, 1863

Le tableau « Petite cavalerie » ne peut être que de Raphael Ritz – tout au contraire d’Albert Anker. Trois enfants sont assis sur un tronc d’arbre, le premier secoue un fouet, le dernier agite un drapeau. Lors d’une exposition artistique à Berlin, ce tableau a été acheté par rien de moins que le roi de Prusse Guillaume I, devenu par la suite empereur allemand. Une formation militaire aussi précoce semblait plaire dans une nation guerrière comme la Prusse.

IV.2 Vie populaire

Illustration 46: Ingénieurs en montagne, 1870

Raphael Ritz s’est rendu régulièrement en Valais depuis Düsseldorf pour créer des tableaux de genre fort recherchés. La composition « Ingénieurs en montagne » a eu tant de succès qu’il en a peint plusieurs variantes. Il s’est beaucoup intéressé à la technique moderne de mensuration qui a rapidement progressé en montagne dans des conditions parfois très difficiles.

Illustration 47: Archéologie dans l’église de Valeria, 1870

Le tableau « Archéologie dans l’église de Valera » présente de manière humoristique un connaisseur examinant aux jumelles un décor moyenâgeux pendant que sa femme, qui semble s’ennuyer, lit sur un banc de l’église. Il semble que Raphael Ritz se soit un peu moqué de lui-même, car en réalité il soutenait activement la conservation des monuments valaisans et la création du musée d’histoire.

Illustration 48: Les deux stades de la vie, env. 1873

Le tableau peint en 1973 et intitulé « Les deux stades de la vie » est d’un symbolisme profond: un joyeux cortège d’enfants tout inondé de lumière avec des fleurs et des petits sapins rencontre en forêt une personne âgée assise à droite dans l’ombre.

Illustration 49: Maison d’habitation à Sion et épouse

Ce n’est qu’en 1874, donc à l’âge de 43 ans, que Ritz s’est installé durablement à Sion dans la vieille maison qu’avaient déjà habitée ses parents. La raison de cette tardive sédentarité: son mariage avec Carolina Nördlinger de Tubingue qui lui a donné cinq enfants.

Illustration 50: Le jeune Raphael Ritz

En raison d’une attaque de fièvre typhoïde surmontée dans sa jeunesse, la santé de Raphael Ritz était toujours quelque peu chancelante. Sa grande force créatrice lui a néanmoins fait peindre quelque 500 tableaux qui lui ont permis d’entretenir sa grande famille. Ce fut un homme modeste, d’une grande assurance en tant qu’artiste et compétent dans de nombreux domaines.

IV.3 Le monde entier est concentré en Valais

Illustration 51: Le botaniste, 1883

Le tableau humoristique intitulé « Le botaniste » n’est pas sans rappeler l’œuvre d’un autre peintre, Carl Spitzweg. On y voir un scientifique ou un amateur éclairé chaussé de lunettes déterminant à l’aide de son livre les plantes alpines récoltées pendant que, sans qu’il ne s’en rende compte, une chèvre broute les fleurs de sa boîte d’herboriste. Deux jeunes gens du cru observent la scène en riant ou en s’étonnant.

Illustration 52: Le docteur occasionnel, 1886

Le tableau « Le docteur occasionnel » présente dans une auberge valaisanne un homme plus ou moins compétent en train de panser la jambe d’une jeune fille. La mère console, la petite sœur pleure et le père fume sa pipe. A l’arrière-plan, trois hommes boivent du vin sans s’occuper de la scène. Nous nous en rendons compte: des tableaux d’une telle maîtrise ne se contentent pas de présenter une scène dans un bistro valaisan, mais ils sont représentatifs du monde entier.

Illustration 53: La correction du Rhône à Raron, 1888

En 1888 le canton de Valais a chargé Raphael Ritz de peindre l’ouvrage de correction du Rhône à Raron.

Le musée d’art et d’histoire du canton du Valais possède près de 50 tableaux et 500 dessins de Raphael Ritz. Il propose actuellement une exposition spéciale sur ce peintre que je vous recommande vivement de visiter.

Illustration 54: Raphael Ritz âgé

Le 1er août 1857, donc à l’âge de 28 ans, Raphael Ritz songeait déjà à son avenir: « Je […] commettrais un péché à l’égard de ma patrie si je n’en faisais pas un sujet de mes études et tableaux […]; je ne consacrerai mon pinceau qu’aux Alpes et à la petite population alpine. » C’est ce qu’il a fait de manière exemplaire.

Raphael Ritz n’était pas un artiste local, car ses scènes de genre du Valais s’inspiraient de valeurs éternelles. Il me semble parfois que l’Académie de Düsseldorf l’a rendu plus romantique et idéalisant qu’un Albert Anker formé à Paris. Les peintres ayant étudié en Allemagne faisaient aussi preuve d’un peu plus de retenu dans les coloris que les artistes formés en France.

Illustration 55: Le Cervin, 1882

Raphael Ritz a su saisir avec une grande maîtrise les êtres humains, mais il ne manquait pas de bonheur non plus dans la représentation de paysages comme le prouve cette peinture émouvante de la plus célèbre des montagnes suisses. Le Valais peut être fier qu’un artiste du format de Raphael Ritz se soit concentré sur le Valais pour ensuite conquérir le monde entier.

Pour conclure je vous souhaite en ces temps quelque peu agités bonheur, santé et joie pour la nouvelle année.

Christoph Blocher
Christoph Blocher
anc. conseiller national Herrliberg (ZH)
 
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