Exposé

Défis et perspectives pour l’agriculture suisse

Avant d’aborder la thématique du libre-échange agricole, il est important de prendre conscience de la situation actuelle des familles paysannes suisses. Voilà la seule manière de comprendre les défis

Jean-Pierre Grin
Jean-Pierre Grin
conseiller national Pomy (VD)

Avant d’aborder la thématique du libre-échange agricole, il est important de prendre conscience de la situation actuelle des familles paysannes suisses. Voilà la seule manière de comprendre les défis énormes que doivent relever les agriculteurs helvétiques dans un marché complètement ouvert.

La surface d’exploitation moyenne d’un domaine agricole suisse est actuellement de 16,4 hectares alors que celle d’une exploitation allemande est de 46,4 ha, soit trois fois plus. Une exploitation suisse possède en moyenne environ 34 bovins, 17 vaches et 137 porcs. Là encore, une comparaison avec la situation en Allemagne est révélatrice: une exploitation allemande moyenne détient 71 bovins, 39 vaches et 303 porcs. Donc, en règle générale, les effectifs d’animaux sont deux fois plus élevés en Allemagne qu’en Suisse.

Le développement économique et le changement structurel de ces quinze dernières années ont pourtant laissé des traces profondes. On a assisté à une forte écologisation, professionnalisation et spécialisation de l’agriculture suisse. De nombreuses exploitations ont constitué des associations de production, d’exploitation et de distribution; des systèmes de garantie de la qualité et des programmes de labels ont été lancés; les productions de niche et les spécialités ont été renforcées et des actions de promotion de la vente ont été entreprises. La part de l’agriculture au produit intérieur brut n’est aujourd’hui plus que de 1% et le nombre d’exploitations est tombé de 90 000 en 1990 à moins de 60 000 aujourd’hui. Et cette disparition des exploitations paysannes va se poursuivre. Parallèlement, l’agriculture ne représentait même plus 8% dans le compte 2003 de la Confédération. Aujourd’hui, ce chiffre est même nettement plus petit.

Le commerce extérieur a atteint des proportions importantes
En analysant les chiffres du commerce extérieur, nous constatons avec surprise que la Suisse importe aujourd’hui déjà de la viande pour plus de 600 millions de francs par an: le même montant est dépensé pour les légumes importés. Pour les produits laitiers – un quart de toute la production agricole suisse est axé sur le lait – c’est juste l’inverse: la Suisse exporte pour 600 millions de francs et la tendance est à la hausse. On constate donc que, malgré l’absence d’un libre-échange agricole avec l’UE, les échanges de biens agricoles au-delà des frontières ont pris des proportions importantes.

La structure du marché dans le secteur agraire suisse est marquée par la domination de l’industrie de transformation et du commerce (Migros, Coop, Denner). Cette situation fait que 5% seulement des biens sont vendus directement du producteur au consommateur. Autre phénomène: alors que les prix à la consommation et le coût des moyens de production ont augmenté d’environ 10% depuis 1990, les prix à la production ont baissé dans une proportion allant jusqu’à 30%. Donc, pendant que les paysans obtiennent de moins en moins d’argent pour leurs produits et doivent dépenser toujours plus pour leurs biens de production, les prix ont augmenté dans les magasins. Cette évolution fait aussi que la part du paysan à chaque franc dépensé par le consommateur ne cesse de baisser. Et ce clivage continue de s’approfondir. Un travailleur agricole moyen gagne aujourd’hui moins de 37 000 francs par an, ce qui est largement inférieur au revenu moyen suisse.

Les paysans participent à l’attractivité de la Suisse
Alors que les conditions de travail et de vie des paysans suisses se détériorent sans cesse, les exigences légales qui leur sont imposées restent les mêmes. Nous tous, estimons parfaitement normal que les familles paysannes continuent d’accomplir leurs tâches multifonctionnelles, mais qu’elles gagnent de moins en moins. Il est pourtant écrit noir sur blanc dans la Constitution fédérale: « La Confédération veille à ce que l’agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement à la sécurité de l’approvisionnement de la population, à la conservation des ressources naturelles et à l’entretien du paysage rural. » Il est évident que, faute d’une agriculture accomplissant ces tâches, la Suisse ne serait guère attractive pour les touristes qui viennent nombreux dans notre pays. Mais là encore, c’est le même tableau: la branche touristique gagne certes toujours plus d’argent, mais les paysans, qui apportent aussi leur contribution à ce succès, restent les mains vides.

Pendant que la population attache une grande importance à une production alimentaire saine et respectueuse de l’environnement et, selon divers sondages, attend des paysans qu’ils entretiennent le paysage rural et veillent à l’occupation décentralisée du territoire, les zones agricoles se dépeuplent et le degré d’auto-approvisionnement de la Suisse tombe à un niveau inquiétant.

Cette évolution et les pressions qui en découlent pour l’agriculture ont été renforcées par la Politique agricole 2011. L’enveloppe budgétaire de la Confédération a été réduite, si bien que le revenu agricole et, avec lui, la survie à long terme des familles paysannes restantes sont plus incertains que jamais.

Défis énormes pour les familles paysannes
L’agriculture devra, ces prochaines années, répondre à des exigences énormes: produire encore moins cher dans un contexte de prix élevés, devenir encore plus compétitive malgré la multiplication des réglementations légales et des restrictions, toucher des indemnités toujours plus faibles alors que les prestations imposées par la Constitution et la loi restent les mêmes.

Il s’agit bien sûr aussi d’ouvrir aux paysans suisses des nouveaux et intéressants marchés à l’étranger malgré la pression de la concurrence. Mais, compte tenu de leur situation actuelle, ce serait faire preuve d’un mépris total que de les jeter brutalement dans un marché libre avec les pays de l’UE. Cette action aurait aussi des conséquences fatales pour notre beau pays et pour notre alimentation en produits sains.

Jean-Pierre Grin
Jean-Pierre Grin
conseiller national Pomy (VD)
 
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