Exposé

En finir avec un traité « Frankenstein »

Fabriqué avec des morceaux de souveraineté appartenant aux divers Etats qui l’ont institué, le traité évolutif de Schengen a rapidement échappé à ses créateurs. D’ordonnances en directives, le…

Yves Nidegger
Yves Nidegger
conseiller national Genf (GE)

L’obligation d’adopter le droit évolutif de Schengen nous conduit là où personne ne veut aller.

Fabriqué avec des morceaux de souveraineté appartenant aux divers Etats qui l’ont institué, le traité évolutif de Schengen a rapidement échappé à ses créateurs. D’ordonnances en directives, le traité vit sa propre vie, à la manière du monstre du Docteur Frankenstein. Une situation intolérable pour la Suisse qui entend rester un Etat souverain.

Déroute démocratique
Après dix minutes sur le divan d’un psy, n’importe quel parlementaire suisse, quelle que soit sa couleur politique, vous avouera, sa frustration et sa mauvaise conscience à chaque fois, c’est-à-dire à chaque session, lorsqu’apparait à l’ordre du jour du plénum un objet commençant par les mots « Reprise de l’acquis de Schengen, …. ». Frustration, car nous savons que ces mots signifient « coup de tampon parlementaire obligatoire » sur des règles dictées par des autorités non élues et dont le contenu ne peut pas être discuté. Mauvaise conscience, face aux électeurs, qui attendent de nous un véritable travail de législateurs et pas de simples actes d’enregistrement.

La Suisse s’est engagée à reprendre tous les développements de l’acquis de Schengen (art. 2 al. 3 et art. 7 de l’accord d’association Schengen) (AAS), selon une procédure qui comprend la notification du développement de l’acquis par l’organe UE compétent et la transmission d’une note de réponse par la Suisse.

A chaque notification, la Suisse doit répondre dans les 30 jours et annoncer dans quel délai elle entend traduire l’acte nouveau dans son droit interne (art. 7 al. 2 lt. A). Si la Suisse n’y procède pas, la procédure de résiliation de tout l’accord est déclenchée (art. 4). Les délais étant excessivement courts, la Suisse est soumise en permanence à un stress d’adaptation que personne ne conteste.
En signant un contrat que l’autre partie peut modifier unilatéralement, la Suisse a partiellement abandonné la souveraineté de légiférer qui est un principe définissant un Etat souverain, elle est devenue un simple receveur d’instructions.

L’UE l’a bien compris et ne prend même plus la peine de respecter les délais qu’elle a elle-même imposés, notamment le délai de 30 jours après la notification pour s’exprimer sur un acte. Le 25 mars 2010 l’UE a approuvé l’ordonnance du Parlement européen et du Conseil sur la modification de l’accord de Schengen et de l’ordonnance (CE) no 562/2006 concernant la circulation de personnes ayant un visa pour un séjour de durée prolongée. Sans autre forme de procès, l’UE a exigé de la Suisse qu’elle applique ces textes dès le 5 avril 2010, soit dans les 10 jours !

Ainsi, la Suisse se voit-elle notifier à une cadence quasi hebdomadaire des innovations qu’elle doit reprendre. Actuellement nous en sommes à l’étape de développement no 112 (état au 20 décembre 2010). Pas moins de 17 lois fédérales (liste dans le papier de synthèse) ont déjà été modifiées d’en haut, sans contrôle démocratique. Et d’autres changements sont déjà en préparation.

  • La Grande-Bretagne et l’Irlande ont prouvé que des compromis étaient possibles lorsqu’ils sont exigés. Ces pays membres participent à la coopération judiciaire et policière tout en continuant à contrôler eux-mêmes leurs frontières.
  • La Suisse doit pouvoir elle aussi décider librement et sans stress si elle veut reprendre une adaptation de l’accord de Schengen ou non, et cela sans que l’UE puisse immédiatement résilier tout l’accord.

Protection incohérente des données
Le projet Schengen prévoit des échanges de données dans plusieurs systèmes (SIS, SIS II, VIS, MIDES, Eurodac, etc.). Ces échanges ne servent en réalité qu’à combler ou à réduire les lacunes provoquées par la suppression des contrôles de personnes aux frontières. En d’autres termes, on met en place un dispositif complexe pour résoudre des problèmes qui, sans l’accord de Schengen, n’existeraient pas.

Ce dispositif d’échanges d’informations suppose ensuite un contrôle renforcé et donc un préposé à la protection des données, qui a été soustrait au système d’évaluation prévue par la loi sur le personnel fédéral auquel sont soumis tous les employés de la Confédération. Sa réélection est quasiment automatisée alors que celle des juges fédéraux passent par les Chambres fédérales. D’une main, l’accord de Schengen troue la sphère privée des citoyens par le transfert de données judiciaires, au mépris, notamment, du principe de double incrimination, de l’autre, il met en place une espèce de super-surveillant non démocratique chargé de la protection de ces données.

De plus, la Confédération doit désormais réparer les dommages provoqués par l’exécution du SIS, y compris par les personnes chargées de l’exécution au niveau cantonal, voire dans les autres Etats Schengen lorsque ceux-ci ont mal introduit des données ou qu’une recherche policière a été lancée de manière illégale.

Médiocre coopération policière
Cela fait dix ans que l’UE travaille à la mise en place du système d’information SIS, indispensable à la sécurité vu l’absence de contrôles aux frontières. Cinq fois, son achèvement a été reporté. Les tests récents révèlent des « déficiences considérables dans l’architecture de base du système ». Le coût initialement escompté de 15,5 millions d’euros a décuplé alors que la structure de base, entre temps vétuste, est reconnue obsolète.
Mais ce sont les faits divers qui parlent le mieux : les médias vous ont appris que les gangsters lyonnais avaient pris l’habitude nouvelle d’attaquer les banques genevoises avec des armes de guerre, en circulation apparemment assez libre dans l’espace de sécurité européen. Vous aurez remarqué que ce type d’attaques ne visent pas les banques les mieux fournies en liquidités mais de petites banques qui se trouvent à quelques dizaines de mètres de cette frontière qui n’existe plus. Pour trois raisons conjuguées découlant du traité : 1) le passage de la frontière est le seul endroit où il n’y aura pas de contrôle des personnes (interdits par Schengen) ; 2) sauf à talonner les gangsters, la police cantonale devra s’arrêter à la frontière (le franchissement n’est autorisé que si le fuyard est dans le champ visuel du policier poursuivant) ; 3) aucune poursuite efficace ne s’organisera à temps côté français (la communication transfrontalière est aléatoire, le système SIS incomplet et les moyens français insuffisants). Ainsi, contrairement à sa promesse, Schengen n’a pas aboli la frontière mais a érigé une frontière d’un genre nouveau : la frontière à sens unique. Qui garantit, comme jamais, l’immunité des gangsters qui savent se réfugier rapidement, pour s’y perdre, dans leur nouvel espace de sécurité européen.

Le Conseil fédéral doit intervenir auprès de la Commission UE afin que celle-ci place devant leurs responsabilités les autorités chargées de la mise en œuvre du système d’information Schengen SIS. Il est intolérable que la Suisse doive assumer la responsabilité des conséquences de déficiences causées par des tiers dans le système SIS.

Yves Nidegger
Yves Nidegger
conseiller national Genf (GE)
 
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