Les accords bilatéraux I et la libre circulation des personnes: liens et portée

Les associations économiques et certains partis se lamentent du matin au soir: "Sans accords bilatéraux avec l’UE, notre économie s’effondre."

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)

Ce n’est pas la première fois que nous entendons cette ritournelle. Le ton était le même en 1992 durant la campagne de votation sur l’EEE. A l’époque déjà l’association suisse de l’industrie des machines – appelée Swissmem aujourd’hui – avait publié une annonce représentant Christoph Blocher tombant dans un abîme.

Aujourd’hui également, les associations économiques et la majorité des politiques prétendent qu’en cas de résiliation de la libre circulation des personnes tous les autres accords bilatéraux subiraient le même sort. En réalité, seuls six accords seraient concernés – et encore, dans le pire des cas seulement. Rappelons qu’il existe plus de cent accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE.

On nous dit tous les jours que nous devons notre prospérité à la libre circulation des personnes. Est-ce vrai? La réalité est qu’entre 1945 et 2001, donc avant l’entrée en vigueur des accords bilatéraux I, le PIB par habitant de la Suisse s’est accru de 2% en moyenne annuelle. Donc sans libre circulation des personnes! Depuis l’introduction complète de la libre circulation des personnes au milieu de l’année 2007, le PIB par habitant affiche au contraire une tendance à la baisse. Ce qui compte, en effet, pour mesurer la prospérité d’une économie, c’est la croissance économique par habitant et non pas la croissance économique absolue. Autre réalité: la proportion en pour cent des exportations suisses dans l’espace UE a baissé notablement depuis l’entrée en vigueur des accords bilatéraux I et encore plus depuis l’introduction de la libre circulation complète des personnes: elles ont reculé de 64% en 2001 à un peu plus de 50% en 2016. Après le Brexit, la part des exportations suisses destinées à l’UE tombera même à 47%. C’est une évidence: les marchés de croissance se situent aujourd’hui en Asie et en Amérique. Or, la Suisse n’a conclu avec aucun pays de ces régions des traités comparables aux accords bilatéraux I, et encore moins un accord de libre circulation des personnes.

On nous dit aussi que les accords bilatéraux I garantissent l’accès de la Suisse au marché UE. La vérité est que cette garantie est donnée par l’accord de libre-échange de 1972 qui assure à la Suisse et à l’UE l’accès réciproque aux marchés des deux signataires. De surcroît, la Suisse est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout comme l’UE. L’OMC interdit des mesures arbitraires discriminant un autre pays. En réalité l’accès de la Suisse au marché UE est réglé et garanti à raison de plus de 90% par l’accord de libre-échange et les dispositions de l’OMC.

Les associations économiques et les autres partis politiques agissent comme si la libre circulation des personnes répondait à un besoin absolu de la Suisse, comme si elle était un grand avantage pour notre pays. Ils refusent d’admettre une évidence, à savoir qu’une immigration équivalent à deux fois la population de la ville de Zurich depuis l’introduction de la libre circulation des personnes n’est pas supportable à la longue pour la Suisse. Cette immigration de masse est une lourde charge; elle coûte cher, elle nous stresse et réduit notablement cette exceptionnelle qualité de la vie qui a fait de la Suisse un des pays les plus agréables du monde – mais sans stress dû à une densité démographique excessive, sans criminalité croissante, sans bétonnage du pays, sans surcharge des assurances sociales, sans crainte pour l’emploi et sans sociétés parallèles constituées d’un nombre croissant de personnes impossibles à intégrer.

Autre curiosité: le refus obstiné des associations économiques de voir les coûts des "mesures d’accompagnement" adoptées parallèlement à la libre circulation des personnes. Jusqu’à ce jour je n’ai jamais vue la moindre publication d’economiesuisse mentionnant les coûts de la libre circulation des personnes.

Ces mesures coûtent pourtant extrêmement cher et accroissent constamment les coûts de production en Suisse: extension constante des conventions collectives de travail, salaires minimaux imposés dans toute la Suisse, contrôles bureaucratiques et, pour couronner le tout, cette absurde "préférence nationale light". A la grande joie des syndicats quelque 35 000 entreprises et 150 000 personnes (2015) sont contrôlées chaque année – une belle action de police des salaires! Aujourd’hui déjà le prix économique des mesures d’accompagnement se chiffre sans doute à plusieurs milliards de francs.

Je me suis souvent demandé comment il était possible de négocier aussi lamentablement contre les intérêts de son propre pays. Comment se fait-il que la Suisse n’ait obtenu, sur les quatre libertés fondamentales de l’UE, que celle qui lui est désavantageuse, à savoir la libre circulation des personnes? La libre circulation des services, la libre circulation des marchandises et même la libre circulation des capitaux nous sont en majorité ou partiellement refusées. La balance commerciale entre la Suisse et l’UE dans le seul domaine des services affiche un déficit de presque 50 milliards de francs par an au détriment de la Suisse. C’est donc pour ce montant énorme que l’UE a exporté plus de services en Suisse que la Suisse n’en a exportés dans l’UE. Le déficit de la balance commerciale est de 10,4 milliards de francs uniquement avec l’Allemagne. Conclusion: l’UE profite de nous parce que nous pratiquons une politique économique ouverte au monde.

Initialement, ni l’économie suisse, ni les associations économiques, ni le Parlement, ni les partis politiques ne voulaient de la libre circulation des personnes. L’UE était seule à l’exiger.

Les économies citées par l’association economiesuisse dues à la suppression des obstacles techniques au commerce correspondent à peu près aux coûts qui résultent pour l’économie de l’impôt médiatique SSR (soutenu par economiesuisse) et des mesures d’accompagnement.

L’accord sur les marchés publics est dans l’intérêt de l’UE, car les entreprises suisses ne sont tout simplement pas concurrentielles dans les appels d’offres UE en raison de leurs charges salariales élevées.

L’accord sur les transports terrestres qui offre à l’UE une courte liaison nord-sud, un tarif de transit beaucoup trop bas et l’accès des routes suisses aux camions de 40 tonnes est clairement à l’avantage de Bruxelles.

Une éventuelle résiliation de l’accord sur les transports aériens (y compris la reprise obligatoire de règlementations futures) ne provoquerait nullement un effondrement du trafic aérien, car les compagnies aériennes sont toujours intéressées par les destinations suisses et aussi parce que les accords internationaux précédents restent en vigueur.

La suppression de l’accord agricole avec l’UE n’aurait aucune conséquence perceptible pour la Suisse.

Les onéreux programmes de recherche de l’UE perdent de leur intérêt après le Brexit et ne valent pas, beaucoup s’en faut, les inconvénients résultant de la libre circulation des personnes.

Pourquoi les associations économiques refusent-elles tout de même de prendre en considération les nombreux désavantages de la situation actuelle? Le fait que cette association est dominée par les grands groupes pourrait être une explication. Les conseils d’administration et directions de ces groupes sont aujourd’hui composés en majorité de managers étrangers. Ces personnes ignorent – ce que je peux comprendre – d’où proviennent la prospérité exceptionnelle de la Suisse et l’excellente réputation de la marque "Made in Switzerland". Ils ne savent pas que nous devons notre bonne situation aux piliers porteurs de notre Etat et aux vertus suisses que sont la ponctualité, la fiabilité, la précision, l’innovation et un système de formation qui fait ses preuves depuis très longtemps.

Nous attendons maintenant du Conseil fédéral qu’il applique d’ici au 9 février par la voie de l’ordonnance l’article constitutionnel issu de la votation sur l’initiative contre l’immigration de masse. S’il ne le fait pas – et il semble que l’on s’achemine dans cette direction – la libre circulation des personnes doit être résiliée, comme le Conseil fédéral l’a d’ailleurs lui-même relevé par écrit à plusieurs reprises.

Mesdames et Messieurs, un constat pour conclure: l’institut de recherche sur la conjoncture de l’EPFZ (KOF) a publié en 2008 une étude objective (à cette époque l’attitude face aux accords bilatéraux n’était pas encore aussi sectaire qu’aujourd’hui). Selon l’institut KOF, le produit intérieur brut de la Suisse a augmenté entre 2002 et 2008 (une année de boom économique) de 0,09% (!) de plus par an et par habitant grâce à l’accord de libre circulation des personnes. Je vous le dis tout net: pour préserver la qualité de la vie en Suisse, je suis tout de suite prêt à renoncer à une croissance annuelle supplémentaire de 0,09%!
 

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)
 
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