La démocratie directe au 21e siÈcle

La démocratie est la forme d’Etat dans laquelle le peuple (demos en grec), donc la totalité des citoyens, exerce le pouvoir et non pas une personne individuelle ou un petit groupe de puissants…

Christoph Mörgeli
Christoph Mörgeli
Stäfa (ZH)

La démocratie est la forme d’Etat dans laquelle le peuple (demos en grec), donc la totalité des citoyens, exerce le pouvoir et non pas une personne individuelle ou un petit groupe de puissants. Notre pays joue un rôle de premier plan dans l’histoire à succès de la démocratie parce que chez elle cette organisation étatique remonte au moyen-âge, parce qu’elle s’est imposée très tôt sous sa forme moderne avec la fondation de l’Etat fédéral en 1848 et parce qu’elle est même devenue un cas unique – le fameux « Sonderfall » – avec l’institution des droits démocratiques directs dès les années 1860.

L’idée de la souveraineté populaire suisse, donc le principe que tout le pouvoir part de la volonté des citoyens, est même unique d’un point de vue historique. Car dans le passé la souveraineté partait d’un monarque dans presque toutes les régions du monde et à presque toutes les époques. Elle reposait sur la volonté des princes, des rois, des empereurs et des papes. L’expression la plus célèbre de ce mode de penser est le fameux « L’Etat c’est moi » lancé par le roi-soleil Louis XIV.

La Suisse, berceau de la démocratie
Depuis sa fondation en 1291, la Confédération helvétique s’est toujours considérée comme un opposé à cette pensée étatiste profondément ancrée en Europe. Dans la conception suisse de l’Etat, le pouvoir part des citoyens et l’Etat s’organise du bas vers le haut. C’est précisément pour cette raison que la Suisse est appelée à juste titre le « berceau de la démocratie ».

Les cantons à landsgemeinde de même que les Grisons ont toujours marqué un attachement particulièrement fort à la démocratie en tant qu’opposé à la monarchie et à l’aristocratie. Contrairement aux formes d’Etat dans laquelle la souveraineté était exercée par le roi ou par un groupe de personnes se distinguant par leur naissance – les seigneurs nobles ou les patriciens – le pouvoir suprême appartenait dans la démocratie directe à l’homme « commun », c’est-à-dire à l’assemblée des hommes ayant le droit de porter des armes. Ces assemblées réunies à intervalles réguliers – les lands-gemeinde ou simplement les communes (assemblées communales) – décidaient au vote à main levé de toutes les questions qui, dans la conception actuelle, constituent la souveraineté étatique: élection et destitution des membres du gouvernement et de l’administration ainsi que des commandants militaires, promulgation et suppression de lois, conclusion d’accords avec des puissances étrangères, déclarations de guerre et de paix ainsi que fixation des impôts.

A l’époque déjà, les voyageurs et ambassadeurs des autres pays européens faisait la grimasse avec leurs visages poudrés quand ils évoquaient le « régime du petit peuple » dans l’espace alpin suisse. Cela n’empêchait pas les Confédérés de protéger leurs droits de participation démocratiques comme un privilège, comme une liberté particulière qu’ils avaient conquise par leur intelligence et aussi par la force de leurs armes, et qu’ils entendaient léguer à leurs descendants.

La révolution helvétique de 1798 a supprimé les inégalités de droit dont étaient frappés jusque-là les sujets dans les villes et les seigneuries communes. Alors qu’en 1848 les monarchies triomphaient chez nos voisins européens, l’Etat fédéral, libéral et démocratique s’est imposé en Suisse. Le mouvement démocratique a transformé, dans les années 1860 au niveau cantonal et dans les années 1870 au niveau fédéral, en une démocratie directe la démocratie indirecte dans laquelle les parlements décidaient seuls des sujets politiques. L’élection populaire des gouvernements cantonaux ainsi que les votations populaires sur des décisions des parlements se sont imposés partout. En 1891 le référendum est venu compléter l’initiative populaire introduite en 1874. Avec l’introduction du référendum en matière de traités d’Etat en 1921 et ses extensions en 1977, 1998 et 2003, une partie des relations extérieures ont été de surcroît soumis au droit de participation démocratique. Cette extension ne compense cependant pas la perte d’influence que l’accroissement de la législation par le biais de conventions internationales représente pour les citoyens suisses.

Cas unique au niveau mondial
Qu’en est-il de notre démocratie directe dans le présent et dans l’avenir? Notons d’emblée que les droits de participation politique qu’offre la démocratie directe suisse constituent un cas unique (Sonderfall) au niveau mondial. Celles et ceux qui nient cette évidence ne connaissent rien à la Suisse ou rien à l’étranger, voir rien aux deux. Un Suisse peut voter plus souvent en une année qu’un Britannique durant toute sa vie. Depuis l’institution de l’Etat fédéral il y a eu en Suisse davantage de votations et d’élections que dans le reste du monde. Nos droits de participation politique aux niveaux fédéral, cantonal et communal étant unique au monde, la signification de notre droit de cité est aussi particulière. Dans les pays où les gens se contentent d’élire tous les quatre ou cinq ans un nouveau parlement, l’importance du droit de cité est sans doute moindre. Mais comme les Suisses peuvent donner leur avis sur une multitude de questions, il faut, également en ce 21e siècle, fixer des exigences élevées pour le droit de cité. Une élue socialiste, de surcroît présidente de la commission de naturalisation, a récemment annoncé que la ville de Zurich, dont on sait qu’elle est dominée par la gauche, renonçaient aux tests de naturalisation, car, a-t-elle osé affirmer, « des gens peu cultivés ou des analphabètes fonctionnels ne comprenaient rien à ces tests et seraient d’emblée exclus de la naturalisation » (Tages-Anzeiger, 3.5.2008). Alors qu’on nous explique comment des nouveaux Suisses analphabètes vont voter et élire. Une autorité qui naturalise de cette manière brade ouvertement les acquis de notre démocratie directe.

La démocratie n’était pas seulement un modèle à succès dans le passé; elle le reste aussi à l’avenir. Elle est un moyen de contrer les forces centrifuges des grands Etats ou grands ensembles internationaux qui tournent autour de leur centre en négligeant leurs régions périphériques et en générant des réactions de dissolution. Nous pouvons observer dans l’espace UE mais aussi dans des Etats comme par exemple la Californie des mouvements opposés sous la forme de régionalismes. Les habitants de ces régions sûres d’elles et fières entretiennent avec amour et enthousiasme leur particularité politique, culturelle et économique. Ils exigent aussi des droits de participation démocratique, la possibilité de lancer des initiatives de citoyens, bref, ces gens veulent davantage de démocratie directe. Comme nous, ils n’entendent pas seulement par patrie le bout de terre sur lequel ils vivent, la communauté dont ils connaissent les membres ou la vie protégée dans un paysage, dans un village ou même dans une ville: la patrie est pour eux, comme pour nous, cet endroit où ils ont leur mot à dire.

Garante de prospérité et de bonheur
Les partisans convaincus de la démocratie directe ne sont pas, beaucoup s’en faut, que des arriérés ou des nostalgiques. Des économistes modernes ont prouvé que les processus de l’économie de marché ressemblaient en réalité à ceux de la démocratie directe; chaque franc dépensé équivaut à un bulletin de vote avec lequel les consommateurs se décident tous les jours pour un certain produit. Chaque franc et chaque bulletin de vote a sa valeur dans cette démocratie du marché. Les consommateurs décident du succès ou de l’échec d’un produit, exactement comme les électeurs font le succès ou l’échec d’un parti politique, d’un candidat ou d’un projet de loi. Des professeurs d’économie renommés de Zurich et de St-Gall ont montré dans des études scientifiques fouillées que des larges droits de participation politique accordés aux citoyens coûtaient beaucoup moins cher que les systèmes où les gouvernements ou les parlements distribuent l’argent de leur propre compétence. Le professeur Bruno S. Frey, un économiste suisse de réputation internationale, résume fort bien la situation: « Plus la démocratie directe est forte, mieux se porte l’économie » (Cash, 22.8.2003.). Plus les citoyens participent aux affaires publiques, plus le niveau des impôts et de la dette de l’Etat est bas. Il est même prouvé que la satisfaction de vivre des gens dépend moins du bien-être matériel que de la démocratie directe. En d’autres termes, la démocratie directe est un facteur de bonheur. Plus les droits de participation politique sont étendus, plus les gens sont satisfaits. C’est dire que notre démocratie directe n’est pas du tout un modèle suranné, mais constitue en réalité la forme étatique de l’avenir. Les technologies modernes permettent également de renforcer les éléments de la démocratie directe comme, par exemple, les votes électroniques ou la démocratisation du savoir par les moyens de communication modernes.

Menaces multiples
S’il est évident que la démocratie directe est la meilleure voie vers l’avenir, il faut tout de même constater que les droits de participation des citoyens sont constamment menacés. Les gouvernements, les parlements et certains groupes d’intérêts tendent à considérer les possibilités de correction des citoyens comme un obstacle dérangeant. Ce constat vaut encore plus pour l’étranger que pour la Suisse. Sans gêne aucune, l’ancien chancelier allemand Helmut Kohl considérait ouvertement comme une de ses grandes réussites politiques le fait qu’il n’ait dû consulter le peuple allemand ni sur l’introduction de l’euro, ni sur les contrats UE, ni sur la réunification de l’Allemagne. Quand les populations de France, des Pays-Bas ou de l’Irlande n’approuvent pas comme souhaité la constitution UE, Bruxelles parle tout au plus d’un petit incident de parcours. Les choses ne sont certes pas aussi simples en Suisse, mais il faut bien admettre que la classe politique et l’administration fédérale, deux organes qui ne se distinguent habituellement guère par leur créativité, font preuve d’une imagination étonnante quand il s’agit d’arranger le calendrier, de combiner et de truquer pour faire passer des projets derrière le dos du souverain ou de torpiller d’autres projets en faisant référence au droit international public.

Une autre menace contre la démocratie directe provient de la tendance des gouvernants à s’ériger en autorité morale face au peuple. L’Etat est une institution qui crée et sauvegarde le droit, mais ce n’est certainement pas une institution morale. La tâche de créer et de réaliser des idéaux appartient aux individus, aux familles, aux églises, aux associations, mais jamais à l’Etat. Le professeur bâlois de droit public Max Imboden définit la démocratie comme la « forme d’Etat des alternatives ». Une démocratie ne peut fonctionner que s’il est possible d’y dire aussi facilement « oui » que « non ». Les contraintes et les automatismes sont caractéristiques des organisations non démocratiques. Il n’est pas acceptable dans une démocratie directe que les représentants d’une opinion prétendument « fausse » se fassent qualifier de moralement inférieurs, d’irresponsables, de méchants, de sots, de grossiers ou d’incorrects.

Ne nous faisons pas d’illusions: la gauche politique est elle aussi traditionnellement sceptique, voire hostile à l’égard de la démocratie directe. La société refusant dans sa majorité de suivre les projets sociaux et économiques ruineux de la gauche, celle-ci tente constamment de centraliser auprès de politiciens, de fonctionnaires, de syndicalistes et de bien-pensants professionnels un pouvoir politique qui est aujourd’hui largement décentralisé. Voilà pourquoi la gauche préfère l’entrée de la Suisse dans la bureaucratie UE à l’indépendance et à la souveraineté de notre Etat. Même les radicaux classiques et les organisations économiques qui leur sont proches ont souvent de la peine avec la démocratie directe. Au 19e siècle ils préféraient le système parlementaire pur pendant que des dirigeants PDC – autrefois les catholiques-conservateurs – défendaient encore au 20e siècle des idées peu démocratiques sur l’organisation de l’Etat.

Les citoyens veulent-ils se décharger?
Mais la menace la plus grave pour la démocratie directe émane des citoyennes et des citoyens eux-mêmes quand ils cherchent, prétendument, à se libérer des soucis et de la responsabilité de la participation politique, quand ils veulent lâcher les affaires de l’Etat pour les confier aux seuls politiques. Certains scrutins du passé ont malheureusement de quoi inquiéter. Nos ancêtres ont mené de rudes batailles, parfois au prix de leur vie, pour obtenir des droits de participation politique. Ils seraient sans doute étonnés de voir leurs descendants accepter une nouvelle féodalisation, donc un régime où un petit nombre d’hommes décident du sort de tous.

Nous voulons combattre ensemble ces tendances dans la conviction que la démocratie directe reste aussi en ce 21e siècle la forme d’Etat la mieux à même d’assurer la prospérité, la liberté, la satisfaction et le bonheur des gens. Même si des partis politiques et des médias fatigués de la démocratie nous combattent âprement. Nous savons ce que nous avons à faire. En tant que parti du peuple et de la Suisse.

Christoph Mörgeli
Christoph Mörgeli
Stäfa (ZH)
 
Nous utilisons des cookies pour personnaliser le contenu et les publicités, proposer des fonctionnalités pour les médias sociaux et pour analyser l'accès à notre site. Nous fournissons également des informations sur l'utilisation de notre site Web à nos partenaires des médias sociaux, de la publicité et de l’analyse.Voir les détails Voir les détails
Je suis d'accord