Les grands groupes industriels trahissent la Suisse

Une fois de plus nous entendons les mises en garde ou, plus exactement, les menaces des grands groupes industriels et de la majorité des associations économiques suisses. Si nous n’approuvons pas l’accord-cadre avec l’UE, nous provoquons le déclin de la Suisse, le chaos, l’insécurité du droit, nous dit-on !

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)

Quand avons-nous entendu cela pour la dernière fois ? Mais oui, c’était en 1992 avant la votation sur l’Espace Économique Européen (EEE). Or, que s’est-il passé après le refus du peuple et des cantons ? L’économie suisse s’est portée beaucoup mieux que celle des pays membres de l’UE. Depuis lors, quelque 700 000 immigrants – uniquement de l’UE – ont afflué dans cette Suisse prétendument si isolée. Pourquoi ? Parce que les conditions de travail et de revenu y sont meilleures qu’ailleurs. Parmi ces immigrants, il y a un certain nombre de managers qui se sont placés à la tête des groupes mondiaux suisses. Ce sont exactement ces mêmes managers qui profitent aujourd’hui de la bonne position de nos entreprises et qui encaissent des salaires de plusieurs millions de francs aux frais des actionnaires.

Récemment, le dirigeant d’un de ces groupes mondiaux suisses m’a dit avec un accent d’outre-Rhin : « Vous savez, cher Monsieur Matter, si la Suisse se porte si bien économiquement, c’est grâce à la libre circulation des personnes. » Je lui ai répondu avec mon accent bâlois : « Vous êtes venu en Suisse bien avant l’introduction de la libre circulation des personnes. Je m’étonne que vous ne vous souveniez plus pourquoi vous avez immigré en Suisse à l’époque. C’était sans doute parce que la Suisse était déjà le pays le plus prospère et affichant le chômage le plus bas du monde. »

Nombre de ces managers se sont naturalisés et me disent aujourd’hui : « Monsieur Matter, la Suisse est un pays génial. Je suis un grand fan de la démocratie directe, du fédéralisme et d’un marché de travail libéral. » Or, à l’heure actuelle, ces mêmes milieux tiennent un discours juste inverse et nous enjoignent d’approuver ce traité de soumission à l’UE. Le fait que cet accord détruit exactement ce qu’il leur arrive parfois de louer ne semble pas les inquiéter.

Mais en y regardant de plus près, on voit bien que les responsables de ces grands groupes ne sont pas de fans du modèle étatique suisse. En réalité, ils ne s’intéressent qu’au prochain bilan trimestriel, à leur salaire et leur bonus.

Nombre de ces chefs immigrés, mais malheureusement aussi beaucoup de collègues suisses, se moquent complètement de notre pays. Ces managers refusent de comprendre que leurs entreprises et toute l’économie helvétique ne seraient jamais arrivées au niveau actuel sans les piliers de notre État : la souveraineté, le droit de participation des citoyennes et des citoyens, la neutralité et le fédéralisme qui donne aux cantons et aux communes leur juste place. Ces groupes industriels doivent leur position mondiale moins aux prétendues performances de leurs managers qu’aux efforts de nos ancêtres qui se sont toujours battus pour conserver la forme politique particulière de la Suisse.

Avec acharnement et endurance, nos ancêtres ont construit pas à pas la prospérité dont nous jouissons actuellement. Ils ont développé l’agriculture, les arts et métiers, les banques, les assurances, d’innombrables PME et quelques groupes industriels de réputation mondiale. Ils voyaient toujours plus loin que leur bulletin de salaire.

Autrefois, il aurait été hors de question de brader l’indépendance du pays pour vendre quelques boîtes de lait, quelques pilules ou turbines supplémentaires. Jamais on n’aurait toléré des juges étrangers pour quelques comptes bancaires de plus. Jamais on n’aurait accepté de sacrifier la stabilité de notre Etat pour la confier à un président de la Commission UE qui a du mal à tenir debout.

Mesdames et Messieurs, nous ne pouvons pas nous empêcher de soupçonner que les grands groupes industriels suisses soutiennent les règlementations de l’UE parce qu’ils savent bien que les PME et les arts et métiers auraient du mal à digérer ce flot de prescriptions et seraient donc affaiblis.

Je suis certain aussi que nombre des managers qui se sont prononcés énergiquement ces derniers mois pour l’accord-cadre avec l’UE ne le connaissent même pas en détail. Mais cela ne les empêche pas de prétendre qu’en cas de refus de cet accord ils devraient déplacer des milliers d’emplois à l’étranger et devraient renoncer à des centaines de millions de francs de chiffre d’affaires. C’est un vulgaire chantage exercé sur les citoyennes et citoyens suisses ! Un ancien président d’un grand groupe suisse a récemment déclaré en petit cercle qu’à son époque il eût été hors de question que des entreprises cotées en bourse se mêlent pareillement de la politique suisse ! Cet homme est suisse et présidait un conseil d’administration.

J’invite ces managers internationaux à considérer en détail le développement économique réel de la Suisse. Le fait est que depuis l’introduction de la libre circulation des personnes avec l’UE la croissance de la productivité par habitant a fortement baissé. Dans ce classement, la Suisse est en avant-dernière position avant l’Italie ! Depuis l’introduction de la pleine libre circulation des personnes, la croissance économique par habitant stagne. Le chômage en Suisse a entre-temps dépassé celui de l’Allemagne. Ce qui compte pourtant, c’est le nombre réel de personnes en quête d’un emploi, on non pas le taux de chômage qui ne prend pas en considération les personnes en fin de droit et les nombreux salariés licenciés de plus de 50 ans qui sont trop fiers pour aller pointer au chômage. À ce propos, je vous invite, cher Monsieur le Conseiller fédéral Parmelin, à mettre à l’avenir l’accent non seulement sur le taux de chômage suisse, mais sur le nombre effectif de personnes sans travail afin de pouvoir faire des comparaisons utiles dans les statistiques internationales.

Mesdames et Messieurs, en débattant de cet accord-cadre nous ne devons pas nous laisser influencer par les hauts cris de managers qui ne songent qu’à leurs bonus. Car ces gens seront les premiers, qui, lorsque les conditions économiques suisses seront détériorées par ce mauvais accord-cadre, quitteront nos entreprises et la Suisse pour s’abattre comme un essaim de sauterelles sur d’autres pays. Les simples citoyennes et citoyens devront rester ici et payer les pots cassés. Voilà pourquoi nous devons continuer de faire nous-mêmes nos lois. Voilà seule manière de conserver une Suisse où il fait bon vivre !

Thomas Matter
Thomas Matter
conseiller national Meilen (ZH)
 
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