La libre circulation des personnes selon la définition de l’UE ne fonctionne pas en termes économiques. Nous avons besoin de redevances d’immigration.

par le Dr. Prof. Reiner Eichenberger, Université de Fribourg
 

De nombreux politiciens de Suisse et de l’UE vantent la libre circulation des personnes comme un moteur de prospérité. Mais pourquoi la majorité des citoyens suisses, de même que des pays subissant une forte immigration en provenance de l’UE comme la Grande-Bretagne veulent-ils la réduire? Pourquoi les politiciens de l’UE ne veulent-ils pas l’étendre aux pays pauvres voisins de l’UE ou aux réfugiés?

Effets de liberté et de surpeuplement

Les êtres humains ont des capacités et des besoins très divers. Leur productivité et leur revenu ne dépendent pas seulement de leurs propres capacités, mais aussi dans une forte proportion des caractéristiques de leur lieu et pays de domicile ainsi que de la qualité des institutions politiques et de la politique. Grâce à la libre circulation des personnes, les êtres humains peuvent migrer vers les pays où la vie leur semble particulièrement agréable, donc surtout dans des pays ayant de bonnes institutions comme la Suisse. La libre circulation des personnes exerce donc sur les migrants un extraordinaire et positif effet de liberté.

Pour les habitants des pays d’immigration, cet afflux peut aussi être désavantageux. Par principe, l’immigration fait pression sur les salaires. Mais comme les charges salariales des entreprises baissent par la même occasion, ces pays redeviennent attractifs pour de nouveaux investissements dans des emplois, ce qui peut compenser les effets négatifs sur les salaires si les marchés du travail, des capitaux et du sol sont complètement flexibles. L’immigration de personnes hautement qualifiées peut bien entendu apporter des avantages à un pays, car elle génère le plus souvent des recettes nettes positives pour l’Etat et relève le niveau de qualification professionnelle, accroissant du même coup la productivité globale. Mais cette situation attire ensuite des immigrants supplémentaires qui abaissent à nouveau souvent le niveau de qualification.

De toute manière, cependant, une forte immigration et la croissance démographique qu’elle provoque génèrent des effets de surpopulation, notamment dans les régions à forte densité démographique et à leurs limites. Des facteurs naturels ou d’origine politique comme le sol, les infrastructures, les biens environnementaux, les places de formation, etc. se raréfient. Conséquences: non seulement le prix du sol et les loyers augmentent, mais aussi les coûts des transports, de la protection de l’environnement et de l’énergie ainsi que les impôts selon la rapidité avec laquelle les infrastructures et les prestations de l’Etat doivent être développées.

Les gagnants de la libre circulation des personnes sont les migrants eux-mêmes et les propriétaires des facteurs qui se raréfient, notamment ceux détenant une grande fortune immobilière. Mais les gagnants sont aussi les managers des branches protégées auxquels la croissance de la population apporte un surcroît de chiffres d’affaires et des bonus supplémentaires. Les politiciens qui cherchent par principe à augmenter les dépenses et les recettes de l’Etat profitent eux aussi. Du côté des perdants, il y a les personnes qui sont concurrencées par les immigrants sur le marché du travail et du logement, notamment les migrants précédents et les jeunes ainsi que ceux qui doivent supporter l’augmentation des charges d’un Etat en expansion.

En fait, les perdants de l’immigration devraient être indemnisés au moyen des énormes bénéfices générés par l’immigration. Or, la définition UE de la libre circulation des personnes interdit précisément cela: des indemnisations ciblées des résidents actuels grâce au prélèvement et la redistribution des gains immobiliers, par exemple, sont considérées comme une discrimination.

Renforcer la symétrie des flux migratoires

L’effet global de la libre circulation des personnes résulte, d’une part, des effets de liberté, et d’autre part, des effets de surpopulation. Ces derniers sont d’autant plus grands que les flux migratoires sont plus asymétriques, apportant ainsi à quelques pays un fort accroissement de la population. En revanche, si les flux migratoires sont symétriques, les effets de la liberté prévalent.

La symétrie des mouvements migratoires ne peut pas être imposée. La migration dépend des différences de qualité de vie qui, à leur tour, sont fortement déterminées par la qualité des institutions politiques. Pour créer des mouvements migratoires symétriques, il faut donc commencer par harmoniser la qualité des institutions politiques. La qualité de vie ne s’égalisera et les flux migratoires ne deviendront symétriques que si les pays de l’UE offrent des institutions fonctionnant de manière équivalente aux niveaux national, régional et local. Pour atteindre cet objectif, de nombreux pays membres de l’UE ont besoin de réformes profondes.

La libre circulation des personnes assortie de redevances d’immigration

Que peut-on faire jusqu’à ce que les institutions politiques soient équivalentes? La libre circulation des personnes doit être orientée. Mais cette intervention ne doit pas passer par des contingents. Il serait beaucoup plus efficace de piloter les flux migratoires asymétriques moyennant des redevances sur l’immigration. Les recettes provenant de ces redevances compenseraient les inconvénients que subissent les habitants des pays d’immigration et les inciteraient ainsi à se montrer plus ouverts à l’égard des immigrants. Le prix de l’immigration peut avoir la forme explicite d’une redevance financière temporaire versée par les nouveaux immigrants ou la forme implicite d’une exclusion des immigrants de certaines prestations de l’Etat.

Il est évident que cette proposition est d’une certaine façon discriminatoire, mais de manière utile. Le grand effet de liberté de la libre circulation des personnes – des hommes et des femmes peuvent se déplacer librement et sans restriction bureaucratique vers l’endroit qu’ils préfèrent – est sauvegardé. Une partie des recettes provenant de la redevance d’immigration pourrait être versée au budget de l’UE. Une telle participation motiverait les responsables de l’UE à comprendre rapidement les avantages d’un tel système. L’UE pourrait, moyennant ces recettes supplémentaires, aider les pays d’émigration à se doter d’institutions équivalentes dont profiteraient à long terme tous les participants.

* Reiner Eichenberger est professeur de théorie de l’économie et de la politique financière à l’Université de Fribourg ainsi que directeur de la recherche au CREMA (Center for Research in Economics, Management and the Arts). Ce texte repose sur un article rédigé en commun avec David Stadelmann pour WiSt (Wirtschaftswissenschaftliches Studium), 2016, cahier 11, p. 571.

 
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