L’Etat en tant que chef d’entreprise: risques et dangers

Il existe en Suisse de nombreuses entreprises dans lesquelles les pouvoirs publics détiennent des majorités – abattoirs au niveau communal, banques cantonales et entreprises électriques au niveau…

Hansruedi Wandfluh
Hansruedi Wandfluh
Frutigen (BE)

Il existe en Suisse de nombreuses entreprises dans lesquelles les pouvoirs publics détiennent des majorités – abattoirs au niveau communal, banques cantonales et entreprises électriques au niveau cantonal, CFF, Poste, Swisscom et Ruag au niveau fédéral, pour ne citer que ces exemples. L’Etat a-t-il les capacités de conduire de telles entreprises et d’en assumer la responsabilité? Quels risques et quels dangers cette direction étatique comporte-t-elle? Voilà quelques questions auxquelles je tenterai de répondre dans ce qui suit.

Très souvent, les entreprises étatiques ont leurs racines dans des activités dont on estimait autrefois que seul l’Etat pouvait les assumer utilement. Ces entreprises avaient pour tâche de répondre à des besoins fondamentaux de la population, besoins qui, aux yeux de la politique, ne pouvaient pas être satisfaits par des sociétés privées. Il s’agit, par exemple, de la production d’armes et de munitions ou encore de l’approvisionnement du pays en électricité et en services de télécommunication. Avec la globalisation générale, la dynamisation et l’ouverture des marchés, ces entreprises autrefois monopolistiques ont été exposées à une concurrence internationale croissante. Leur existence est de plus en plus difficile à justifier. Elles cherchent donc à échapper au rétrécissement de leurs marchés nationaux en étendant leur champ d’action pour augmenter leur potentiel commercial.

Les leçons de l’histoire

La Banque cantonale bernoise, dont les engagements dans d’autres cantons et même à l’étranger ont valu aux contribuables bernois une ardoise de plusieurs milliards à effacer, est un exemple classique illustrant ce propos, tout comme Swissair et Swisscom avec leurs invraisemblables participations étrangères qui n’avaient aucun rapport avec leur mandat premier.

Ces exemples ont un point commun: confrontées à un marché domestique qui se rétrécit comme peau de chagrin, les entreprises d’Etat tentent de croître tout de même en augmentant leur rayon géographique ou leur champ d’activité. Mais, tout en s’engageant sur cette voie, elles gardent leur structure d’ancienne société de monopole sous le contrôle de l’Etat. Cela ne peut que mal tourner.

Les raisons des échecs

Pour commencer, on constate que certaines entreprises d’Etat ont fait preuve d’un goût du risque irresponsable si on analyse de manière objective certaines de leurs actions. Ces excès s’expliquent uniquement par le fait que ceux qui ont pris les risques n’avaient pas à en assumer les conséquences. Un authentique chef d’entreprise, qui est responsable en engageant sa fortune privée, aurait certainement agi autrement dans de nombreux cas.

Il faut se rappeler que, par exemple, la Banque cantonale bernoise a investi dans des biens immobiliers situés dans d’autres cantons alors que les banques et filiales locales avaient jugé ces affaires trop risquées. Et Swissair a racheté des compagnies aériennes au bord de la ruine en partant de l’hypothèse erronée que l’on peut former une entreprise forte à partir de plusieurs éléments faibles.

Mais le principal problème de Swissair, c’est que ses engagements l’ont exposé aux attaques violentes de puissants syndicats étrangers. Swisscom prend exactement les mêmes risques en voulant assumer la responsabilité du service téléphonique de base dans des pays étrangers. Une entreprise étatique garantie par l’argent des contribuables doit faire face à des revendications bien plus élevées qu’une société privée. L’exemple Swissair confirme parfaitement ce constat puisque la Confédération a dû injecter des milliards alors qu’elle ne détenait que 10% du capital-actions.

Ensuite, ces velléités expansionnistes d’entreprises d’Etat sont condamnées d’avance parce que ces sociétés manquent de souplesse et réagissent trop lentement. Le rythme actuel des affaires sur les marchés globalisés et leur dynamique ne permettent plus de longues et fastidieuses recherches de consensus politiques. Il n’est plus question d’attendre que des querelles politiques se résolvent et que les élus et partis aient satisfait leur besoin de se profiler. Pour des entreprises monopolistiques contrôlées par l’Etat, le rythme de la politique est peut-être suffisant, mais les entreprises privées ne peuvent pas s’en contenter.

Enfin, une entreprise exposée à la libre concurrence ne peut pas s’offrir le luxe de tenir compte de quotas et d’exigences politiques en composant son conseil d’administration. Si elle veut être performante sur le marché, elle doit installer les meilleurs professionnels possible dans son organe de surveillance. D’anciens conseillers fédéraux, conseillers d’Etat ou hauts fonctionnaires, des fonctionnaires syndicaux à la retraite ou des femmes imposées par des quotas sexistes ne constituent certainement pas un fondement valable pour y construire une stratégie commerciale efficace.

L’Etat est-il à sa place à la tête d’une entreprise?

Reste enfin la question de savoir si l’Etat a les capacités d’assumer la responsabilité d’une société étatique. Je crois que oui tant que cette société jouit d’un monopole. Les monopoles d’Etat qui servent à satisfaire certains besoins de la population me sont en tout cas bien plus sympathiques que les monopoles privés. Mais dès que le monopole est rompu et que les prestations sont offertes sur le libre marché (exemple: le marché de l’électricité) ou dès que l’activité de l’entreprise étatique déborde largement du monopole défini par l’Etat, il faut sérieusement songer à privatiser. Il n’est pas acceptable que le contribuable supporte des risques qui ne le concernent pas. Par exemple, si les commandes de la Confédération à RUAG continuent de baisser, il n’est pas acceptable que le contribuable continue de couvrir le risque d’une entreprise largement axée sur les exportations. La part fédérale aux mandats de RUAG Aerospace représente aujourd’hui encore 30%, mais la Confédération reste propriétaire à 100%. Cela se passera bien aussi longtemps que l’entreprise n’a pas de problème. Mais qu’arrivera-t-il si le vent tourne? Alors la politique s’en mêlera parce que les donneurs de leçons n’y manquent pas. Aujourd’hui déjà, des élus politiques, des antimilitaristes tout comme des trafiquants d’armes, estiment devoir intervenir dans les affaires de la RUAG. Et plus il y a de conseillers, plus les choses risquent de mal tourner, c’est bien connu.

L’Etat doit mettre en place les conditions-cadres permettant au marché de fonctionner. En tant que régulateur, l’Etat est forcément soumis à des contraintes politiques. S’il agit en même temps comme fabricant, il s’engage inévitablement dans des conflits d’objectifs. En tant qu’actionnaire, l’Etat doit veiller au rendement de ses participations.

C’est un devoir face aux citoyens dont il gère la fortune en fiduciaire. Or, cette situation génère des conflits qui, à la longue, sont néfastes pour tous les acteurs.

Aucune raison valable contre la privatisation

Il n’y a aucune raison valable qui s’oppose à la privatisation d’entreprises étatiques qui ne sont plus des monopoles dans le sens classique du terme. Si nécessaire, les parties de l’entreprise ayant un caractère de monopole peuvent être préalablement exclues du processus de privatisation. Je songe par exemple au réseau ferroviaire des CFF ou encore au réseau électrique des compagnies d’électricité. La privatisation des entreprises étatiques est d’ailleurs dans l’intérêt bien compris de ces sociétés puisqu’elle leur donne la liberté d’entreprendre. Elle est aussi dans l’intérêt du contexte qui évolue constamment. Les contribuables cessent d’assumer des risques dangereux et des structures conduisant à des distorsions de la concurrence sont rompues. Les entreprises libérées de la tutelle de l’Etat doivent veiller à ce que les conditions d’engagement de leur personnel soient adaptées le plus rapidement possible au Code des obligations et aux conditions du marché. La raison est simple: une personne qui a bénéficié des privilèges sociaux d’une entreprise fédérale aura du mal à trouver un emploi sur le marché du travail privé.

Reste l’argument du service public. La garantie du service public n’est pas un obstacle à la privatisation des entreprises fédérales. La Confédération peut parfaitement garantir le service universel par un cadre légal qui régit l’attribution et le contrôle d’un mandat d’approvisionnement.

Conclusion

En résumé, on retiendra que l’Etat peut certes gérer des entreprises monopolistiques classiques, mais le fait est que des entreprises de ce type n’existent presque plus: soit les monopoles sont tombés et les concurrents privés se sont installés sur le marché, soit les entreprises ont élargi leurs activités au secteur privé pour échapper à des marchés monopolistiques qui se rétrécissent. Dans les deux cas, l’Etat n’est pas à sa place comme propriétaire de l’entreprise et doit donc être relayé.

Hansruedi Wandfluh
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Frutigen (BE)
 
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